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La politique monétaire en période de mutations et de ruptures

Discours de Christine Lagarde, présidente de la BCE, au colloque annuel de politique économique « Structural Shifts in the Global Economy » organisé par la Réserve fédérale de Kansas City à Jackson Hole

Jackson Hole, 25 août 2023

Ces trois dernières années, nous avons subi une série de chocs sans précédent partout dans le monde, bien qu’à des degrés divers.

Nous avons fait face à la pandémie, qui a entraîné une paralysie partielle de l’économie mondiale. Nous sommes confrontés à une guerre en Europe et à un nouveau paysage géopolitique, qui engendrent de profonds changements sur les marchés de l’énergie et une mutation radicale de la structure des échanges commerciaux. Et le changement climatique s’accélère, nous obligeant à faire tout notre possible pour décarboner l’économie.

L’un des effets visibles de ces évolutions a été le retour d’une inflation élevée à l’échelle mondiale, qui a été une source d’angoisse pour de nombreuses personnes. Les banques centrales ont réagi en resserrant leur politique monétaire. Malgré des améliorations, la lutte contre l’inflation n’est toutefois pas encore gagnée.

Mais ces mutations pourraient également avoir des implications profondes à plus long terme. Plusieurs scénarios plausibles laissent entrevoir une modification fondamentale de la nature des interactions économiques mondiales. En d’autres termes, nous pourrions entrer dans une ère de mutation des relations économiques et de rupture des régularités établies. Pour les autorités publiques ayant pour mandat le maintien de la stabilité, cela pose un défi de taille.

Nous nous appuyons sur les régularités observées dans le passé pour comprendre la répartition des chocs auxquels nous sommes susceptibles d’être confrontés, la manière dont ils se transmettent à travers l’économie et la meilleure façon dont les politiques peuvent y répondre. Mais si nous sommes dans une nouvelle ère, les régularités passées pourraient ne plus constituer une référence utile pour comprendre le fonctionnement de l’économie.

Comment pouvons-nous alors continuer à assurer la stabilité ?

Le philosophe Søren Kierkegaard a bien cerné ce type de défi en déclarant que « la vie doit être vécue en regardant vers l’avenir, mais elle ne peut être comprise qu’en se retournant vers le passé. »

Compte tenu des délais de transmission de nos politiques, nous ne pouvons attendre que les paramètres de ce nouvel environnement deviennent parfaitement clairs avant d’agir. Nous devons nous faire une idée de l’avenir et agir de manière prospective. Étant donné que nous ne comprendrons vraiment les effets de nos décisions qu’a posteriori, nous devrons mettre en place de nouveaux cadres axés sur l’élaboration de politiques solides dans un contexte d’incertitude.

Je voudrais présenter aujourd’hui les trois principaux changements qui caractérisent l’environnement actuel et la manière dont ils pourraient modifier le type de chocs auxquels nous pourrions être confrontés et leur transmission à travers l’économie. J’aborderai ensuite les trois éléments essentiels de l’élaboration d’une politique monétaire résolue dans ce contexte : clarté, flexibilité et humilité.

Les mutations de l’économie mondiale

Depuis la pandémie, les économies européennes et mondiale ont connu trois grands changements, qui sont en train de modifier les marchés mondiaux et qui se produisent sur différents horizons temporels.

Tout d’abord, nous assistons à une transformation profonde du marché et de la nature du travail.

Les marchés du travail sont exceptionnellement tendus dans les économies avancées — et ce n’est pas seulement dû à la forte demande de main-d’œuvre apparue après la pandémie. Dans certaines économies, les travailleurs qui avaient quitté le marché du travail n’ont pas tous retrouvé une activité, que ce soit pour des raisons de santé ou du fait de l’évolution de leurs préférences[1]. Dans d’autres, comme la zone euro, l’emploi atteint des niveaux record, mais le temps de travail moyen a diminué[2].

La pandémie a également accéléré la numérisation,[3] qui est susceptible d’avoir des répercussions à la fois sur l’offre de travailleurs et sur la composition des emplois. Le travail à distance s’est développé[4], ce qui pourrait rendre l’offre de main-d’œuvre plus élastique. Et cela s’inscrit désormais dans le cadre de la révolution de l’intelligence artificielle (IA) générative qui, comme toutes les révolutions technologiques, est susceptible à la fois de détruire des emplois et d’en créer de nouveaux.

Selon une estimation, plus d’un quart des emplois dans les économies avancées reposent sur des compétences qui pourraient être facilement automatisées[5]. Par ailleurs, des recherches de la BCE concluent que la part de l’emploi dans les professions les plus exposées à l’IA a augmenté dans la plupart des pays européens au cours de la dernière décennie, réfutant l’idée que la révolution de l’IA entraînera nécessairement une baisse de l’emploi[6].

Deuxièmement, nous sommes entrés dans une phase de transition énergétique qui, conjuguée à l’accélération du changement climatique, donne lieu à de profondes transformations sur les marchés mondiaux de l’énergie.

Bien que l’Europe ait subi le choc le plus important, le bouquet énergétique mondial est également en pleine évolution, en raison du retrait de fournisseurs qui, auparavant, équilibraient le marché. Depuis quelques années, le secteur américain du pétrole de schiste s’oriente vers une stratégie de croissance plus lente et investit moins dans les capacités de production. Les pays membres de l’OPEP+ ont pour leur part régulièrement échoué à atteindre leurs objectifs de production.

Dans le même temps, les efforts en faveur des énergies renouvelables s’intensifient partout, du fait des récentes préoccupations concernant la sécurité énergétique et de la nécessité d’agir pour le climat[7]. L’Union européenne (UE) entend désormais porter à plus de 40 % la part de sa production d’énergie issue de sources renouvelables d’ici à 2030, tandis que les États-Unis sont en bonne voie pour que la majorité de l’électricité du pays soit d’origine solaire ou éolienne d’ici à 2050[8].

Troisièmement, nous sommes confrontés à un approfondissement des clivages géopolitiques et à une fragmentation de l’économie mondiale en blocs concurrents. Cela s’accompagne d’une montée du protectionnisme, les pays reconfigurant leurs chaînes d’approvisionnement pour s’aligner sur de nouveaux objectifs stratégiques.

Ces dix dernières années, le nombre de restrictions aux échanges commerciaux en vigueur a été multiplié par dix[9], tandis que les politiques industrielles visant à relocaliser, dans le pays ou dans des pays amis, les industries stratégiques se multiplient aujourd’hui. Bien que cela n’ait pas encore conduit à une démondialisation, les signes d’une modification de la structure des échanges sont cependant de plus en plus nombreux[10]. La fragilité des chaînes d’approvisionnement mondiales mise en évidence par la pandémie a également accéléré ce processus[11].

Ces évolutions, en particulier celles liées à l’environnement post-pandémie et à l’énergie, ont contribué à la forte hausse de l’inflation au cours des deux dernières années. Elles ont réduit l’offre globale tout en redirigeant la demande vers des secteurs confrontés à des contraintes de capacités[12]. Ces asymétries sont apparues, du moins dans un premier temps, dans le contexte de politiques macroéconomiques très expansionnistes destinées à contrebalancer les effets de la pandémie, nécessitant un ajustement rapide de la part des banques centrales.

À ce stade, il est difficile de savoir si tous ces changements seront durables. Mais il est déjà évident que, dans de nombreux cas, leurs effets ont été plus persistants que prévu initialement. Cela soulève deux questions importantes quant à la nature des relations économiques clés.

Deux questions sur les relations économiques clés

La première question est de savoir si les chocs à l’origine des fluctuations économiques évolueront.

Dans le monde d’avant la pandémie, nous pensions généralement que l’économie progressait sur une trajectoire de production potentielle en constante expansion, les fluctuations étant principalement causées par des variations de la demande privée. Mais ce modèle n’est peut-être plus approprié.

Pour commencer, il se pourrait que nous subissions davantage de chocs du côté de l’offre[13].

Nous assistons déjà aux effets de l’accélération du changement climatique, ce qui se traduira probablement par des chocs d’offre plus fréquents à l’avenir. Selon des estimations, plus de 70 % des entreprises de la zone euro dépendent d’au moins un service écosystémique[14]. La modification du bouquet énergétique mondial est également susceptible d’accroître l’ampleur et la fréquence des chocs sur l’offre d’énergie, le pétrole et le gaz devenant moins élastiques[15] tandis que les énergies renouvelables restent confrontées aux problèmes de l’intermittence et des difficultés de stockage.

La relocalisation sur le territoire national ou dans des pays amis impliquent également de nouvelles contraintes d’offre, en particulier si la fragmentation des échanges s’accélère avant la reconstitution de la base d’approvisionnement nationale. Des études de la BCE montrent que, dans un scénario où le commerce mondial se fragmente selon des lignes géopolitiques, les importations en volume pourraient diminuer de 30 % au niveau mondial et ne pas être entièrement compensées par une augmentation des échanges au sein des blocs[16].

Dans le même temps, notre plus grande exposition à ces chocs peut déclencher la mise en place de politiques publiques qui feront également évoluer l’économie. Surtout, nous devrions assister à une phase d’investissement concentrée en début de période, largement insensible au cycle économique, à la fois parce que les besoins d’investissement auxquels nous sommes confrontés sont pressants et parce que le secteur public jouera un rôle central dans leur réalisation.

Par exemple, la transition énergétique nécessitera des investissements massifs sur un horizon relativement court — environ 600 milliards d’euros par an en moyenne dans l’UE jusqu’en 2030[17]. Les investissements mondiaux dans la transformation numérique devraient plus que doubler d’ici à 2026[18]. Le nouveau contexte international imposera quant à lui une hausse importante des dépenses ayant trait à la défense : dans l’UE, environ 60 milliards d’euros seront nécessaires chaque année pour atteindre l’objectif de l’OTAN en matière de dépenses militaires, de 2 % du PIB[19]. Même si le capital à forte intensité carbone se déprécie plus rapidement[20], tout cela devrait entraîner une augmentation des investissements nets.

Une telle phase d’accroissement des besoins d’investissement structurel rendra les perspectives économiques plus difficiles à anticiper. Dans la zone euro, par exemple, l’investissement a augmenté au premier trimestre de cette année dans un contexte de stagnation de la production, en partie en raison des dépenses d’investissement prévues à l’avance dans le cadre du programme Next Generation EU.

La deuxième question porte sur la manière dont ces chocs se transmettent à travers l’économie.

Le nouvel environnement ouvre la voie à des chocs sur les prix relatifs plus importants que ceux observés avant la pandémie. Si nous sommes confrontés à la fois à des besoins d’investissement plus élevés et à des contraintes d’offre accrues, nous assisterons probablement à des tensions plus fortes sur les prix sur des marchés comme ceux des matières premières, en particulier les métaux et les minéraux, qui sont essentiels pour les technologies vertes[21]. Et les prix relatifs devront également être ajustés afin que les ressources soient réaffectées des secteurs en déclin vers les secteurs en croissance[22].

Les réaffectations à grande échelle peuvent également entraîner une hausse des prix dans les secteurs en croissance qui ne peut être entièrement compensée par la baisse des prix dans les secteurs en déclin, en raison de la rigidité à la baisse des salaires nominaux[23]. Les banques centrales auront donc pour mission de maintenir les anticipations d’inflation fermement ancrées à leur objectif pendant que ces changements de prix relatifs se produisent.

Et ce défi pourrait devenir plus complexe à l’avenir en raison de deux changements de comportement en matière de fixation des prix et des salaires que nous observons depuis la pandémie.

Premièrement, face à d’importants déséquilibres entre l’offre et la demande, les entreprises ont ajusté leurs stratégies de fixation des prix. Au cours des dernières décennies de faible inflation, les entreprises confrontées à des hausses de prix relatifs hésitaient souvent à augmenter leurs prix de peur de perdre des parts de marché [24]. Mais cela a changé durant la pandémie, les entreprises ayant dû faire face à de grands chocs communs, qui ont agi comme un mécanisme de coordination implicite entre concurrents.

Dans ces conditions, nous avons constaté que les entreprises sont non seulement plus susceptibles d’ajuster leurs prix, mais aussi de le faire de manière substantielle[25]. Ce comportement explique en grande partie pourquoi, dans certains secteurs, la fréquence des modifications de prix a presque doublé dans la zone euro au cours des deux dernières années par rapport à la période antérieure à 2022[26].

Le deuxième changement a été l’apparition de tensions sur le marché du travail, qui a renforcé la position des travailleurs souhaitant compenser leurs pertes de revenu réel. Auparavant, même lorsque les chocs se répercutaient sur les prix, le risque d’effets de second tour était contenu, car nous étions essentiellement confrontés à une sous-utilisation persistante des capacités sur le marché du travail[27]. Mais comme nous le voyons aujourd’hui, lorsque les travailleurs ont un pouvoir de négociation plus important, une forte hausse de l’inflation peut déclencher un processus de « rattrapage » des salaires susceptible d’entraîner un processus d’inflation plus persistant[28].

Nous ne pouvons certainement pas exclure que ces deux évolutions soient temporaires. De fait, nous constatons déjà, dans la zone euro, que les entreprises modifient leurs prix moins fréquemment, malgré un contexte de baisse des prix de l’énergie et des intrants[29]. Et il est possible que les tensions sur le marché du travail s’atténuent avec le ralentissement de l’économie, la dissipation des discordances entre l’offre et la demande créées par la pandémie et, au fil du temps, avec la numérisation, laquelle devrait entraîner une augmentation de l’offre de main-d’œuvre, notamment en réduisant les barrières à l’entrée[30].

Mais nous devons également envisager la possibilité que certains de ces changements s’inscrivent dans la durée. Si l’offre mondiale devient moins élastique, y compris sur le marché du travail[31], et que la concurrence mondiale est réduite, nous devons nous attendre à ce que les prix jouent un rôle plus important dans l’ajustement. Et si nous sommes aussi confrontés à des chocs plus importants et plus courants, tels que les chocs énergétiques[32] et géopolitiques, nous pourrions voir les entreprises répercuter les hausses de coûts de manière plus systématique.

Dans ce contexte, nous devrons être extrêmement attentifs à ce qu’une plus grande volatilité des prix relatifs ne se traduise pas par une inflation à moyen terme sous l’effet des hausses de salaires successives visant à « rattraper » les prix. Ce phénomène pourrait rendre l’inflation plus persistante si les hausses de salaires attendues sont ensuite intégrées dans les décisions des entreprises en matière de fixation des prix, donnant lieu à ce que j’ai appelé l’inflation « du tac au tac »[33].

Une politique monétaire résolue en période de mutations et de ruptures

Ainsi, en cette ère de changements et de ruptures, où nous ne savons pas encore si nous retournons vers l’ancien monde ou si nous nous dirigeons vers un nouveau, comment pouvons-nous faire en sorte que l’élaboration des politiques reste solide ?

Je pense que trois éléments essentiels doivent nous guider : clarté, flexibilité et humilité.

Tout d’abord, nous devons être clairs sur notre objectif et sur notre engagement sans faille à atteindre cet objectif.

La clarté sera importante pour définir quel rôle la politique monétaire devra jouer dans les transitions en cours. Nous devons être clairs sur le fait que la stabilité des prix est un pilier fondamental d’un environnement propice à l’investissement. Dans un monde en mutation, la politique monétaire ne doit pas devenir elle-même une source d’incertitude.

Cet aspect sera essentiel pour assurer un ancrage solide des anticipations d’inflation, même en cas d’écarts temporaires par rapport à notre objectif, ce qui pourrait arriver dans une économie plus exposée aux chocs. Il sera également essentiel pour conserver la confiance du public quant au fait que, même dans un nouvel environnement, nous ne perdrons pas de vue notre objectif. Nous devons maintenir l’inflation à 2 % à moyen terme et nous y parviendrons.

Or pour atteindre nos objectifs, nous avons besoin de flexibilité dans notre analyse.

Nous ne pouvons pas élaborer une politique fondée sur des règles simples ou des objectifs intermédiaires dans une économie incertaine[34]. Cela signifie que nous ne pouvons pas uniquement nous appuyer sur des modèles estimés à l’aide de données anciennes, pour tenter d’affiner la politique en fonction des prévisions ponctuelles. Dans le même temps, nous devons également éviter l’autre écueil consistant à trop se concentrer sur les données actuelles et à « conduire en regardant dans le rétroviseur », car une telle approche pourrait faire de la politique monétaire une force réactive plutôt qu’une force stabilisatrice.

Nous devrons au contraire élaborer des cadres de politique monétaire qui tiennent compte de la complexité du contexte et fournissent une couverture contre les risques qui y sont associés, ce que les banques centrales commencent déjà à faire. À la BCE, nous avons subordonné nos décisions futures à trois critères : les perspectives d’inflation, la dynamique de l’inflation sous-jacente et la vigueur de la transmission de la politique monétaire.

Ces trois critères contribuent à atténuer l’incertitude qui entoure les perspectives à moyen terme en combinant les projections de nos services relatives à l’inflation, la tendance que nous pouvons tirer de l’inflation sous-jacente et l’efficacité de nos mesures de politique monétaire pour contrer cette tendance. À l’avenir, je pense que ce type d’approche « multi-critères » sera nécessaire pour calibrer efficacement la politique monétaire. Mais nous devrons également améliorer ce processus en actualisant régulièrement nos modèles et nos technologies en matière de projections[35], ainsi qu’en approfondissant l’analyse des variables qui constituent les meilleurs indicateurs avancés[36].

Le troisième élément essentiel dans ce nouvel environnement est l’humilité. Si nous devons poursuivre nos efforts pour affiner notre vision à moyen terme, nous devons également être clairs sur les limites de ce que nous connaissons actuellement et sur ce que notre politique peut réaliser. Pour préserver notre crédibilité auprès du public, nous devrons parler de l’avenir de manière à mieux faire comprendre l’incertitude à laquelle nous sommes confrontés.

La BCE s’est déjà engagée sur cette voie dans son processus d’élaboration des projections, mais il reste encore du chemin à parcourir. Nous avons publié des analyses de sensibilité de variables clés telles que les prix de l’énergie et les salaires, et nous avons utilisé une analyse de scénarios pendant la pandémie et après le début de la guerre en Ukraine. Nous nous efforçons également d’être plus transparents sur la prise en compte des erreurs de nos projections.

Des travaux de recherche tendent à démontrer que les ménages font moins confiance aux prévisions des banques centrales si leurs performances récentes ont été médiocres[37], mais nous pouvons atténuer ce problème en parlant de nos prévisions de manière plus conditionnelle et en expliquant mieux nos erreurs. Pour cette raison, les services de la BCE ont commencé à publier les principaux facteurs à l’origine de nos erreurs dans les prévisions d’inflation et nous avons l’intention de continuer à le faire[38].

Conclusion

Je voudrais à présent conclure mon propos.

Il n’existe pas de guide sur la situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui : c’est donc à nous de l’écrire.

La conduite de la politique monétaire en période de mutations et de ruptures exige d’avoir l’esprit ouvert et la volonté d’adapter en temps réel nos cadres analytiques aux nouvelles tendances. Dans le même temps, en cette ère d’incertitude, il est d’autant plus important que les banques centrales fournissent un point d’ancrage nominal à l’économie et assurent la stabilité des prix conformément à leurs missions respectives.

Dans le contexte actuel, cela signifie, pour la BCE, fixer les taux d’intérêt à des niveaux suffisamment restrictifs aussi longtemps que nécessaire pour parvenir à un retour rapide de l’inflation vers son objectif de 2 % à moyen terme.

À l’avenir, nous devons rester clairs sur nos objectifs, flexibles dans notre analyse et humbles dans la manière dont nous communiquons. Comme l’a dit John Maynard Keynes, « la difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes. »

  1. Cet effet est plus perceptible aux États-Unis que dans la zone euro. Botelho, V., et Weißler, M., « La COVID-19 et les décisions de départ en retraite des travailleurs âgés dans la zone euro », Bulletin économique de la BCE, no 6, 2022 ; Faria e Castro, M., et Jordan-Wood, S., « Excess Retirements Continue despite Ebbing COVID-19 Pandemic »,, On The Economy Blog, Federal Reserve Bank of St. Louis, 22 juin 2023.

  2. Arce, O., Consolo, A., Dias da Silva, A., et Mohr, M., « More jobs but fewer working hours », Le blog de la BCE, 7 juin 2023.

  3. Jaumotte, F. et al., « Digitalization During the COVID-19 Crisis: Implications for Productivity and Labor Markets in Advanced Economies », Staff Discussion Notes, n° 2023/003, FMI, 13 mars 2023. Les implications de la numérisation pour le marché du travail et d’autres aspects de l’économie sont également abordées dans Dedola, L., et al. « Digitalisation and the economy », Working Paper Series, No 2809, BCE, avril 2023.

  4. Dias da Silva, A., et al., « Comment les salariés veulent travailler – quelles préférences pour le télétravail après la pandémie », Bulletin économique, no 1, BCE, 2023.

  5. OCDE, Perspectives de l’emploi 2023.

  6. Albanesi (S.) et al., « New technologies and jobs in Europe », Working Paper Series, No 2831, BCE, juillet 2023.

  7. Cf. aussi Breckenfelder, J., et al. « The climate and the economy », Working Paper Series, no 2793, BCE, mars 2023.

  8. Agence américaine d’information sur l’énergie (Energy Information Administration, EIA), « Annual Energy Outlook 2023 » (perspectives annuelles sur l’énergie), 16 mars 2023.

  9. Comparaison entre 2012 et 2022. Plus précisément, les restrictions aux échanges commerciaux relatifs aux biens, aux investissements et aux services. Les données citées ne concernent que les exportations. Cf. Georgieva, K., « Contrer la fragmentation dans trois domaines prioritaires : les échanges commerciaux, l’endettement et l’action en faveur du climat », Blog du FMI, 16 janvier 2023.

  10. Alfaro, L., et Chor, D., « Global Supply Chains: The Looming ‘Great Reallocation’ », document présenté lors de l’édition 2023 du colloque sur la politique économique de Jackson Hole, Federal Reserve Bank of Kansas City, août 2023.

  11. Lebastard, L., Matani, M. et Serafini, R., « GVC exporter performance during the COVID-19 pandemic : the role of supply bottlenecks », Working Paper Series, n° 2766, BCE, janvier 2023.

  12. Ferrante, F., Graves, S. et Iacoviello, M., « The inflationary effects of sectoral relocation », Journal of Monetary Economics, à paraître.

  13. Cette nouvelle situation présente des similitudes avec le paradigme du « cycle économique réel » selon lequel, entre la fin des années soixante-dix et les années quatre-vingt, les économies étaient constamment affectées, non pas par des perturbations de la demande (comme dans les traditions keynésiennes et monétaristes concurrentes), mais par des chocs de productivité réels ayant des répercussions sur le potentiel économique et déclenchant des fluctuations du cycle économique. Cf. Kydland, F., et Prescott, E., « Time to Build and Aggregate Fluctuations », Econometrica, vol. 50, no 6, novembre 1982, pp. 1345-1370.

  14. Des exemples de services écosystémiques incluent les produits que nous obtenons à partir d’écosystèmes tels que la nourriture, l’eau potable, le bois et les minéraux ; la protection contre les risques naturels ; ou encore la capture et le stockage du carbone par la végétation. Cf.  Elderson, F., « The economy and banks need nature to survive », Le blog de la BCE, 8 juin 2023.

  15. Balke, N., Jin, X. et Yücel, M. (2020), «The Shale Revolution and the Dynamics of the Oil Market», Working Papers, no 2021, Federal Reserve Bank of Dallas, juin 2020.

  16. Attinasi, M.-G., Boeckelmann, L. et Meunier, B., « The economic costs of supply chain decoupling »t, Working Paper Series, no 2839, BCE, août 2023.

  17. Commission européenne, «Rapport de prospective stratégique 2023», juillet 2023.

  18. International Data Corporation, « IDC Spending Guide Sees Worldwide Digital Transformation Investments Reaching $3.4 Trillion in 2026 » 26 octobre 2022.

  19. Données de l’OTAN. Ce chiffre exclut les quatre pays de l’UE ne faisant pas partie de l’OTAN (Irlande, Chypre, Autriche et Malte).

  20. FMI, « Incidences macroéconomiques à court terme des politiques de décarbonation », Perspectives économiques mondiales, octobre 2022 ; pour une quantification de l’incidence des taxes carbone sur l’investissement privé, cf. Brand, C., et al., « Les conséquences macroéconomiques de la transition vers une économie bas carbone  », Bulletin économique, no 5, BCE, 2023.

  21. Selon l’Agence internationale de l’énergie, un effort concerté pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris impliquerait un quadruplement des besoins en minéraux pour les technologies propres destinées à produire de l’énergie d’ici à 2040. Cf. AIE, «The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions», mai 2021.

  22. Outre les effets de l’IA et de la numérisation évoqués plus haut, la transition vers l’objectif de zéro émission nette de carbone pourrait entraîner un gain d’environ 200 millions d’emplois et une perte d’environ 185 millions d’emplois à l’échelle mondiale d’ici à 2050. Cf. McKinsey « The net-zero transition: What it would cost, what it could bring », janvier 2022.

  23. Olivera, J.H.G., « On Structural Inflation and Latin-American ‘Structuralism’ » (inflation structurelle et « structuralisme » latino-américain), Oxford Economic Papers, Vol. 16, no 3, novembre 1964, pp. 321-332 ; Guerrieri, V., Lorenzoni, G., Straub, L. et Werning, I. « Monetary Policy in Times of Structural Reallocation », actes du colloque 2021 de Jackson Hole, 2021.

  24. Koester, G., Lis, E., Nickel, C., Osbat, C. et Smets, F., « Understanding low inflation in the euro area from 2013 to 2019: cyclical and structural drivers », Occasional Paper Series, no 280, BCE, septembre 2021. Pour une analyse de la relation entre les marges et la transmission des chocs, cf. Kouvas, O., Osbat, C., Reinelt, T. et Vansteenkiste, I., « Markups and inflation cyclicality in the euro area », Working Paper Series, no 2617, BCE, novembre 2021, et concernant la répercussion de l’évolution des salaires sur les prix, cf. Hahn, E. « How are wage developments passed through to prices in the euro area? Evidence from a BVAR model », Applied Economics, Vol. 53, no 22, novembre 2019, pp. 2467-2485 ; Hahn, E., « The wage-price pass-through in the euro area: does the growth regime matter? », Working Paper Series, n° 2485, BCE, octobre 2020 ; Bobeica, E., Ciccarelli, M. et Vansteenkiste, I., « The link between labor cost and price inflation in the euro area » (le lien entre le coût du travail et la hausse des prix dans la zone euro), Working Paper Series, no 2235, BCE, février 2019.

  25. De nombreuses entreprises de la zone euro ont adopté des stratégies de fixation des prix plus dynamiques en 2022 et ont déclaré qu’en 2023, les prix continueront à être révisés plus souvent que d’habitude. Cf.  Elding, C. et al.« Principales conclusions tirées des contacts récents de la BCE avec les sociétés non financières », Bulletin économique, no 1, BCE, 2023.

  26. Cavallo, A., Lippi, F. et Miyahara, K., « Inflation and misallocation in New Keynesian models, » (inflation et mauvaise allocation dans les modèles néo-keynésiens), document présenté lors du Forum de la BCE consacré à l’activité de banque centrale, Sintra, juin 2023.

  27. Koester, G. et al. (2021), op. cit.; Baba, C. et Lee, J. (2022), « Second-Round Effects of Oil Price Shocks – Implications for Europe’s Inflation Outlook », IMF Working Papers, no 2022/173, FMI, septembre 2022.

  28. Lagarde, C., « Mettre un terme à la persistance de l’inflation, discours prononcé lors du forum 2023 de la BCE consacré à l’activité de banque centrale portant sur « la stabilisation macroéconomique dans un environnement d’inflation volatile », à Sintra, Portugal, 27 juin 2023.

  29. Banque de France, « Enquête mensuelle de conjoncture – Début juin 2023 ».

  30. La numérisation accroît également la possibilité d’externaliser les services intermédiaires vers les marchés émergents. Cf. Baldwin, R., «Globotics and macroeconomics: Globalisation and automation of the service sector », document présenté lors du forum de la BCE consacré à l’activité de banque centrale, Sintra, juin 2022.

  31. L’offre de main-d’œuvre pourrait diminuer en raison de la fragmentation géopolitique (rendant les marchés du travail moins « contestables »), d’un éventuel recul de la migration ou du vieillissement accru de la main-d’œuvre. Voir, par exemple, Freier, M., Lichtenauer (B.) et Schroth, J., «EUROPOP2023 demographic trends and their euro area economic implications» (les tendances démographiques EUROPOP2023 et ce qui en résulte pour l’économie de la zone euro), Economic Bulletin, no 3, BCE, 2023.

  32. À plus long terme, la transition vers les énergies renouvelables pourrait rendre l’approvisionnement énergétique à nouveau plus élastique et moins cher.

  33. Arce, O., Hahn, E., et Koester, G., « How tit-for-tat inflation can make everyone poorer », Le blog de la BCE, 30 mars 2023 ; Hahn, E., « Comment les profits unitaires ont-ils contribué à la récente accentuation des tensions sur les prix domestiques de la zone euro ? », Bulletin économique de la BCE, no 4, BCE, 2023.

  34. Pour une critique de cette approche de l’élaboration des politiques, cf. Faust, J. et Leeper, E., « The Myth of Normal: The Bumpy Story of Inflation and Monetary Policy », document présenté lors de l’édition 2015 du colloque sur la politique économique de Jackson Hole, Federal Reserve Bank of Kansas City, août 2015.

  35. Cf., par exemple, des recherches récentes de la BCE sur l’application de prévisions forestières aléatoires à l’inflation : Lenza, M., Moutachaker, I. et Paredes, J., « Density forecasts of inflation: a quantile regression forest approach », Working Paper Series, no 2830, BCE, 2023.

  36. Bańbura (M.) et al., « Les mesures de l’inflation sous-jacente : un guide analytique pour la zone euro », Bulletin économique, no 5, BCE.

  37. McMahon, M. et Rholes, R. « Building Central Bank Credibility: The Role of Forecast Performance », mimeo, université d’Oxford, 2023.

  38. Chahad, M., Hofmann-Drahonsky, A.-C., Meunier, B., Page, A. et Tirpák, M., « Qu’est-ce qui explique les récentes erreurs dans les projections d’inflation des services de l’Eurosystème et de la BCE ? », Bulletin économique, no 3, BCE, 2022 ; Chahad, M., Hofmann-Drahonsky, A.-C., Page, A. et Tirpák, M., « Évaluation actualisée des projections d’inflation à court terme établies par les services de l’Eurosystème et de la BCE », Bulletin économique, no 1, BCE, 2023.

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