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Entretien avec Les Echos

Entretien de Luis de Guindos, vice-président de la BCE, accordé à Guillaume Benoit, Édouard Lederer et Thibaut Madelin, le 24 novembre 2021, publié le 30 novembre 2021.

30 novembre 2021

Les banques affichent des bénéfices records et donnent l’impression que la crise est finie. Est-ce une illusion ou la réalité ?

Les résultats récents des banques européennes sont assez bons. Depuis la pandémie, leur rentabilité augmente, mais le principal moteur de cette hausse est la baisse de leurs provisions. Ces résultats sont donc basés sur un scénario optimiste que la reprise va continuer et qu’on ne verra pas de grosse vague de faillites. Il convient toutefois d’être très prudents car, une fois que les mesures de soutien des États seront retirées, les faillites et les créances douteuses vont progresser.

Recommandez-vous aux banques de ne pas reprendre de provisions ?

C’est quelque chose qui doit être analysé banque par banque. Ma recommandation serait d’être prudent, car on ne connaît pas l’impact final de la pandémie et l’effet du retrait des aides. Cela concerne également les dividendes et les politiques de rémunération. En tant que superviseur et responsable de la stabilité financière, notre rôle est d’appeler à la prudence.

Vous craignez une correction des prix de l’immobilier. Peut-on parler de bulle ?

Il n’existe pas de définition de « bulle ». Vous savez qu’il y a une bulle quand elle explose. Notre message est très clair : sur le marché immobilier résidentiel, il y a clairement des poches de surévaluation des prix qui vont au-delà des fondamentaux. Et cette tendance s’est poursuivie pendant la pandémie. Jusqu’à présent, il s’agit d’un phénomène localisé, mais il devient de plus en plus général dans la zone euro. Nous devons y faire très attention, car il apparaît sur fond de taux faibles.

Que pouvez-vous faire pour freiner ce mouvement ?

Les coussins de fonds propres contracycliques ont été libérés pendant la crise sanitaire pour maintenir le flux de crédit. Maintenant, les autorités macroprudentielles de certains pays devraient commencer à envisager la possibilité de les augmenter à nouveau pour accroître la capacité de résistance des banques et modérer la croissance des crédits à l’habitat, assurant ainsi un atterrissage en douceur en cas de retournement de cycle.

Avec l’Allemagne et les Pays-Bas, la France était pointée dans votre revue de stabilité financière. Devrait-elle prendre cette mesure ?

Je ne pense pas à un pays en particulier. Mais le Comité européen du risque systémique (CERS) va formuler des recommandations pays par pays dans un futur proche.

Les marchés financiers montrent aussi des signes d’exubérance. Faut-il craindre un nouvel accident comme Archegos, qui a fait perdre 10 milliards de dollars aux banques ?

L’environnement de taux d’intérêt très bas affecte davantage l’appétit au risque des établissements non bancaires que celui des banques. Ces intermédiaires financiers prennent de plus en plus d’importance, notamment en Europe. Pour augmenter le rendement de leur portefeuille, ils investissent dans des titres moins liquides, souvent en s’endettant. La combinaison de cet effet de levier et de titres moins liquides et d’actifs plus risqués constitue une raison d’être vigilants. Or, dans ce secteur, la réglementation est moins stricte. En ce qui concerne les banques, leurs niveaux de fonds propres et de liquidité ont, certes, beaucoup augmenté depuis la crise financière. Cependant, les hedge funds et autres fonds d’investissement sont interconnectés avec les banques et peuvent produire des conséquences systémiques. Et, en effet, la cas d’Archegos est peut-être l’occasion de tirer la sonnette d’alarme.

La taille des bilans des banques a beaucoup augmenté pendant la crise. C’est le contraire du « too big to fail » qu’on a voulu combattre après la crise financière. Est-ce un motif d’inquiétude ?

C’est exact. Il y a eu une forte augmentation des prêts accordés par les banques. Dans le cas de la France, la hausse de l’endettement des sociétés s’accompagne d’une accumulation accrue de trésorerie. Donc, la hausse de l’endettement net est en réalité très faible. Ce qui compte, c’est que les ratios de fonds propres soient restés stables et que la qualité des actifs se soit améliorée. C’est pour cela que j’insiste sur les provisions.

La vague actuelle de TLTRO (opérations ciblées de refinancement à plus long terme) va bientôt s’achever. La BCE pourrait-elle prolonger cet instrument ?

Les opérations de TLTRO ne sont pas encore terminées. Je crois qu’elles ont été un instrument très utile pendant la pandémie pour donner aux banques des liquidités de court et moyen terme, mais qu’il n’y a pas d’urgence à se prononcer sur leur renouvellement. Nous pouvons attendre un peu plus longtemps, et cela ne devrait pas faire partie de nos décisions du mois de décembre. 

Cela veut-il dire que les banques ont encore besoin de soutien ?

Les TLTRO font partie d’un programme d’urgence, pour répondre à la pandémie. A présent, la situation s’améliore, mais la pandémie a laissé des cicatrices qu’il faut prendre en considération. Il faut se rappeler que les TLTRO ne se remboursent pas à une date fixe, qu’il peut y avoir plusieurs périodes pour le faire. Il n’y a donc pas d’effet dit « de falaise », et le remboursement sera étalé dans le temps.

Un nouveau variant de la COVID-19, Omicron, apparaît au moment où une cinquième vague de contaminations frappe une partie de l’Europe. Est-ce que cela vous inquiète ?

En effet, nous avons à nouveau de mauvaises nouvelles concernant le virus et nous suivons de près l’évolution du variant Omicron. Les cas en Allemagne sont clairement en hausse, et l’on a vu le retour de mesures de confinement en Autriche ou en Slovaquie. C’est toujours malheureux. Pour autant, la situation n’est pas comparable à celle de 2020. Tout d’abord, nous avons la vaccination. En Espagne ou en Italie, par exemple, les taux de vaccination sont très élevés, de l’ordre de 90%. Les taux d’infections sont plus élevés dans des pays moins vaccinés, où autour de 60 à 70% des adultes sont vaccinés. De plus, une politique de troisième dose commence à s’étendre, tout comme l’exigence d’un passeport sanitaire. Par ailleurs, l’impact économique d’un éventuel confinement ne serait plus comparable non plus, puisque l’économie s’est désormais adaptée. 

Dans le domaine des paiements, le projet européen EPI est-il important à vos yeux ?

L’union bancaire est clé pour établir un vrai marché européen du paiement. Mais il est aussi essentiel d’avoir un véritable système interbancaire intégré de paiement, en termes de solutions technologiques et en termes de coût. Notre approche est de soutenir cette initiative.

A quelles conditions ce projet pourra-t-il réussir ?

Un tel système devrait être facile à utiliser (« customer friendly »), et efficace. Le système devrait en outre être totalement ouvert pour d’autres banques qui souhaiteraient se joindre au projet, pas seulement dans la zone euro mais dans l’ensemble de l’Europe. Bien sûr, cela peut commencer par un nombre limité de pays dans une première étape, et nous espérons que cette initiative pourra s’étendre dans le futur.

Est-il temps de réguler plus sévèrement le monde des cryptoactifs ?

L’évolution de ce marché est assez impressionnante. Mon opinion personnelle est qu’il va continuer à grandir rapidement. Jusqu’à présent, la volatilité que nous avons vue n’a pas eu d’effet sur la stabilité financière. Mais à ce rythme de croissance, nous devons y prêter attention, notamment en ce qui concerne le financement du terrorisme, l’évasion fiscale… Surtout, nous n’avons pas fait encore assez attention à la combinaison de deux risques : l’acquisition de cryptoactifs avec effet de levier, c’est-à-dire avec de la dette. Un marché en si forte croissance, combiné à un effet de levier, crée des connexions plus intenses et plus systémiques avec le reste du système financier.

Les « bigtechs » sont-elles également un sujet d’inquiétude ?

Notre principe de base est très simple : une réglementation identique pour des activités identiques. Si vous accordez des prêts, vous devez être réglementé comme une banque. Toutefois, en termes de stabilité financière, ces acteurs m’inquiètent beaucoup moins que le monde des cryptoactifs. Car les big techs sont de grandes entreprises, avec de grandes capitalisations boursières et avec une capacité de dialogue…

Appelez-vous toujours à la consolidation bancaire en Europe ?

Je pense que la consolidation transfrontière n’a pas lieu. Les opérations que l’on a pu observer sont beaucoup plus petites. Cela est lié à l’union bancaire, qui n’est pas encore finalisée. Ce point figure d’ailleurs au programme du nouveau gouvernement allemand, et nous devons le saluer. Une fois que l’union bancaire sera achevée, nous aurons un système commun de garantie des dépôts en plus d’une supervision et d’un mécanisme de résolution bancaire uniques. Je suppose que la consolidation jouera dès lors un rôle bien plus important.

Vous avez récemment déclaré que certains facteurs d’inflation en Europe devenaient plus structurels et donc permanents. Quels sont-ils ?

Les perspectives concernant l’évolution des prix ne sont pas entièrement claires. Ce qui est certain, c’est que les facteurs à l’origine de la forte inflation que nous connaissons ne dureront pas et que nous devrions les voir s’estomper l’année prochaine. Mais ce sur quoi je veux attirer l’attention, c’est d’abord que nous avons sous-estimé l’évolution de l’inflation en 2021. Pas seulement la BCE mais aussi tous les prévisionnistes. La Commission européenne a publié il y a deux semaines ses projections économiques, et elle a revu le niveau d’inflation à la hausse.

Pourquoi ? Parce que les effets de base liés aux problèmes d’approvisionnement et au coût de l’énergie ont été plus intenses que ce que nous avions envisagé. En 2022, les goulets d’étranglement pourraient durer plus longtemps qu’anticipé. Par conséquent, il y existe un risque que l’inflation ne ralentisse pas aussi rapidement et aussi fortement que nous l’avions prévu.

L’inflation peut-elle devenir incontrôlable ?

Dans ce contexte d’incertitude, il est très important de considérer les anticipations d’inflation, de voir à quel niveau elles vont s’ancrer. Pour l’instant, elles sont un peu inférieures à notre objectif d’inflation - qui est de 2 % -, ce qui devrait plutôt nous rassurer. Mais nous devons rester vigilants pour éviter qu’elles ne provoquent des effets de second tour, via les salaires. Car, dans ce cas-là, la tendance haussière de l’inflation risquerait d’être plus durable. Nous n’avons pas encore constaté de tels effets. Mais il faut se rappeler que, à cause de la pandémie, les négociations salariales ont largement été reportées à la fin 2021 et à début 2022. Nous devons donc être très prudents.

Les marchés ont l’impression que la prochaine réunion de la BCE enverra un message de resserrement de sa politique monétaire. Est-ce le cas ?

Ce que nous allons faire, c’est ajuster notre programme de réponse à la pandémie (PEPP) à la dynamique de l’inflation, à nos projections économiques et à l’évolution de la situation sanitaire. Ce programme a été créé pour affronter les conséquences de la pandémie. Malgré le récent rebond des contaminations, la Covid finira bien par reculer. Mais nous n’allons pas procéder à une réduction progressive des achats de titres (tapering), comme le fait la Réserve fédérale américaine. La présidente de la BCE a annoncé que les achats nets s’achèveraient en mars. Mais ils pourraient reprendre si la situation l’exige.

Et après la fin du PEPP ?

D’un point de vue personnel, je pense que la politique monétaire, après la fin du PEPP, doit rester accommodante parce que certaines des blessures liées à la pandémie ne sont pas encore complètement guéries. Même si nous avons retrouvé les niveaux de revenus et de production d’avant la crise. Nous devons donc conserver une politique monétaire accommodante, pas aussi fortement qu’elle ne l’était au plus fort de la crise, pour atteindre notre objectif d’inflation à moyen terme, en étant plus encore guidés par les données économiques.

Cela veut-il dire que la hausse des taux directeurs de la BCE, que certains acteurs de marché envisagent avant la fin de 2022, n’est pas une hypothèse crédible ?

Nous n’avons pas encore discuté de ce sujet, mais je vais vous donner mon opinion personnelle. Si on regarde notre forward guidance (le pilotage des anticipations de marchés par la BCE, NDLR), nous avons deux instruments principaux : les achats d’actifs et les taux directeurs. Et nous disons clairement que nous commencerons à augmenter nos taux d’intérêt peu de temps après avoir arrêté nos achats nets d’actifs. Je suis persuadé que ces achats nets se poursuivront tout au long de l’année prochaine. Au-delà, je ne sais pas.

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