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La sécurité à travers l’unité : œuvrer à la réussite de l’intégration au bénéfice de l’Europe

Intervention de M. Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne, lors de la conférence conjointe de la BCE et de la Banka Slovenije (Banque de Slovénie) à l’occasion du 10e anniversaire de l’adoption de l’euro par la Slovénie, Ljubljana, le 2 février 2017

C’est un grand plaisir pour moi de célébrer avec vous, aujourd’hui, cet événement marquant dans l’histoire de votre pays et de notre Union.

Si la Slovénie, à l’instar des autres pays européens, a récemment traversé des années difficiles, vous pouvez être fiers de ce que votre nation a accompli. Parmi les « nouveaux États membres » de l’Union européenne (UE), vous avez été le premier à rejoindre la zone euro, deux ans seulement après avoir adhéré à l’UE. Depuis lors, la Slovénie s’est profondément intégrée dans notre union monétaire. Aujourd’hui encore, 85 % des Slovènes sont en faveur de l’euro, ce qui traduit la force du lien qui nous unit[1].

Alors que nous célébrons le 10e anniversaire de l’introduction de l’euro en Slovénie, nous pouvons également commémorer d’autres événements de l’histoire récente de l’Europe : les 60 ans du Traité de Rome, qui a donné naissance au marché commun ; les quelque 25 ans du Traité de Maastricht, qui a lancé l’Union économique et monétaire ; les 20 ans du Traité d’Amsterdam, qui a institué une politique étrangère et de sécurité commune.

Certains voudraient que ces événements relèvent d’histoires distinctes, celle de l’intégration économique de l’Europe, celle de son union monétaire et celle de son alliance militaire et politique. Ces histoires ne sont pourtant pas indépendantes les unes des autres.

Elles participent toutes d’un même élan, à savoir le désir des citoyens européens d’assurer leur sécurité face à des menaces communes : la menace d’une guerre à l’échelle continentale, évoquée à maintes reprises au cours de notre histoire, et les menaces mondiales posées par l’évolution des technologies, les risques géopolitiques et les perturbations naturelles.

Cet élan a été assez fort pour que l’intégration européenne suive naturellement son cours pendant la majeure partie de la période qui a débuté en 1945. Si les différents volets de l’intégration n’ont pas progressé au même rythme, il s’agissait toujours d’aller de l’avant. Il était incontestable qu’une Union constituait, à long terme, la meilleure réponse aux défis communs auxquels nous étions confrontés. Il n’était pas question de savoir si l’intégration allait être approfondie mais à quel moment.

Pourtant, à l’heure actuelle, un sentiment d’insécurité se propage. Et certains doutent à présent qu’une union plus étroite constitue la réponse. L’intégration est parfois perçue davantage comme une source d’insécurité que comme un rempart contre celle-ci. Un pays a même décidé qu’il était préférable d’inverser ce processus que de le poursuivre.

Cette insécurité reflète en partie des facteurs communs qui émergent dans l’ensemble des démocraties occidentales, tels que la peur de l’immigration, de la mondialisation et du déclassement social. En Europe, des forces singulières sont également à l’œuvre. En particulier, la gravité de la crise de l’euro a érodé la confiance à l’égard de l’Union européenne dans son rôle de fondement de la sécurité économique.

C’est pourquoi l’Europe, et plus encore la zone euro, sont à un tournant. Nous devons apporter des réponses aux questions posées par les citoyens. Mais nuançons ces réponses : si des changements sont effectivement nécessaires en Europe, il y a aussi beaucoup de choses dont nous pouvons être fiers.

L’intégration européenne a été le moteur de nombreuses réalisations qu’il convient de ne pas minimiser par les difficultés que nous rencontrons actuellement. Au contraire, nous devons être convaincus des progrès que nous avons accomplis et bien faire comprendre que notre situation serait moins favorable sans cette intégration.

Cependant, il est également indispensable d’améliorer ce qui est manifestement insatisfaisant. Cela signifie surtout de procéder aux modifications de notre union monétaire que tous considèrent comme nécessaires.

L’importance du marché unique

Depuis ses débuts en 1957, le projet européen a essentiellement reposé sur un engagement en faveur de l’ouverture, qui s’est concrétisé par la mise en place d’un marché unique entre les États membres. Cet engagement était idéaliste mais aussi éminemment pragmatique. Les pères fondateurs de l’Union européenne avaient été témoins des ravages causés par le repli sur soi et le protectionnisme de l’entre-deux guerres. Ils avaient compris qu’il était essentiel de soutenir la croissance économique pour empêcher l’adhésion au nationalisme, qui sème la division, et que l’ouverture des marchés était le meilleur moyen d’y parvenir.

Même si la dernière décennie a été difficile, la longue histoire de l’après-guerre a montré que leur vision était juste. Depuis 1960, la croissance cumulée du produit intérieur brut (PIB) par habitant est plus élevée d’un tiers dans l’UE à quinze qu’aux États-Unis. La richesse privée, anéantie à deux reprises par les guerres du vingtième siècle, a également doublé en pourcentage du revenu national. Bien entendu, cette évolution s’explique en partie par le processus naturel de rattrapage après la Seconde Guerre mondiale mais de nombreux éléments attestent que l’intégration a accéléré cette croissance.

Selon une estimation, le niveau du PIB par habitant de l’UE serait aujourd’hui inférieur de 20 % si aucune intégration n’avait eu lieu depuis la guerre[2]. Et d’après une autre estimation analysant les effets de l’intégration depuis les années 1980, c’est-à-dire à partir du moment où le rattrapage d’après-guerre était arrivé à son terme, le PIB par habitant a gagné environ 12 % par rapport à un scénario de non-appartenance à l’UE[3].

Les pays qui ont rejoint l’UE en 2004 et 2007, comme la Slovénie, ont également profité de ces gains. La hausse du PIB résultant de l’appartenance à l’UE pourrait bien être de 40 % pour les douze nouveaux membres[4], ce qui ne serait pas surprenant puisque l’UE est de loin le premier partenaire commercial des pays d’Europe centrale et orientale et leur principale source d’investissements directs étrangers.

Certains s’interrogent actuellement sur la question de savoir si l’ouverture comme moyen d’assurer notre sécurité économique reste pertinente. Nous devons toutefois nous demander où nous en serions aujourd’hui si notre continent n’avait pas été le théâtre de cette longue phase d’intégration. La réponse probable à cette question est que nous serions bien plus pauvres.

Par ailleurs, le marché unique a constitué la base non seulement de la croissance mais aussi du maintien de marchés ouverts. Comme nous le voyons aujourd’hui au niveau mondial, les marchés ne peuvent rester longtemps ouverts si tous les participants ne semblent pas respecter les mêmes règles ou si les avantages sont perçus comme étant partagés de manière inéquitable. Si le marché unique a survécu, c’est en grande partie parce que l’Europe a construit un modèle unique pour relever ces défis.

L’approfondissement du marché en Europe est allé de pair avec la mise en place d’entités communes destinées à protéger les citoyens de la concurrence déloyale ou de la discrimination de l’étranger, à savoir le cadre réglementaire commun au respect duquel veille la Cour de justice de l’Union européenne. Des garde-fous essentiels pour le modèle social européen ont été progressivement intégrés dans la législation européenne, notamment la Charte des droits fondamentaux, afin de protéger les plus vulnérables.

L’Europe a par ailleurs établi le premier système de redistribution entre pays pour contribuer à prévenir les inégalités régionales persistantes. Dès le milieu des années 1970, des fonds européens servaient à soutenir les régions les moins développées et celles menacées par le déclin industriel. Sur la période 2007-2013, 350 milliards d’euros ont été alloués dans le budget de l’UE aux fonds structurels et d’investissement. Et permettez-moi d’ajouter que la Slovénie a été un bénéficiaire net de ces fonds, le financement des investissements annuels se montant, en moyenne, à un cinquième des dépenses d’investissement public du gouvernement.

Nul ne prétendra que ce système de règles, de garde-fous et de redistribution a été parfait. Nous savons que certains estiment qu’il améliore trop peu leur vie tandis que d’autres le trouvent trop intrusif. Ce que nous avons cependant érigé en Europe est un modèle d’ouverture durable permettant de tirer parti des avantages que celle-ci offre tout en limitant ses effets indésirables. Si nous constatons qu’il y a des problèmes, le défi pour nous est de soutenir et d’améliorer ce modèle et non pas de lui tourner le dos.

De fait, cela signifierait non seulement une perte de richesse pour notre continent mais aussi une sécurité politique plus réduite pour nos concitoyens. N’oublions pas que, outre son rôle de moteur de la croissance, le marché unique a aussi apporté des avantages politiques majeurs.

Il a tout d’abord favorisé une intégration politique renforçant les liens entre les États européens.

Comme je viens de le décrire, un marché unique peut s’inscrire dans la durée uniquement s’il existe une législation commune surveillée par un système judiciaire commun, la Cour de justice de l’Union européenne. Si ce pouvoir judicaire existe, un organe législatif est nécessaire pour écrire la loi. En Europe, cette fonction revient au Conseil de l’UE et au Parlement européen. Un exécutif est également indispensable pour appliquer les décisions des pouvoirs législatif et judiciaire. Dans notre cas, il s’agit de la Commission européenne. En d’autres termes, le marché unique, par sa nature même, crée une union politique plus étroite.

Nous avons également observé cette dynamique aux États-Unis avec le développement de leur propre marché intérieur. Comme vous le savez, la courte « disposition sur le commerce » inscrite dans la constitution américaine, qui accorde au Congrès le pouvoir de réglementer le commerce entre les États, a conduit, au fil du temps, à un accroissement substantiel du rôle du gouvernement fédéral dans les affaires économiques.

Le renforcement de l’influence internationale de l’Europe constitue le deuxième avantage politique.

La politique commerciale décidée conjointement offre à l’Europe un pouvoir réel dans les négociations internationales, à la fois dans le cadre des accords bilatéraux mais aussi lors de la fixation de règles multilatérales au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Un vaste marché est en mesure d’exercer une influence sur les grandes entreprises multinationales, ce qui permet à l’Europe de protéger ce qu’elle juge important, tel que le respect de la vie privée sur Internet. De même, l’Europe peut, dans ce cadre, recourir à des sanctions commerciales pour combattre l’agressivité de pays hostiles et, de ce fait, de conforter aussi la sécurité militaire. Si l’Europe souhaite désormais poursuivre son intégration dans d’autres domaines, comme la défense et la politique étrangère, elle aura besoin de la base économique fournie par le marché unique.

Pour toutes ces raisons, nous devrions par conséquent être fiers de ce que nous avons réalisé grâce à l’intégration. Cela ne signifie pas, toutefois, que nous devons fermer les yeux devant ses problèmes et les mauvaises performances de ces dernières années. Nous devons redonner au marché unique son rôle de moteur de la croissance et faire mieux pour dédommager les perdants qu’il engendre. Mais soyons clairs : notre situation serait moins bonne aujourd’hui, tant du point de vue économique que politique, si nous n’avions pas suivi cette voie.

Du marché unique à l’euro

Mais le marché unique a aussi eu un autre effet : il a mené directement à l’euro. L’Europe ayant décidé de mettre en place un marché totalement intégré, il était souhaitable, sinon indispensable, de disposer d’une monnaie unique. Le sommet de Hanovre, en 1988, a donc jeté les bases de l’euro alors que la décision de réaliser un véritable marché unique avait été prise peu avant.

Certains s’interrogent aujourd’hui sur ce lien entre marché et monnaie et se demandent s’il n’aurait pas mieux valu pour l’Europe de conserver les monnaies nationales. Il faut toutefois se souvenir que la monnaie unique n’a pas été créée ex nihilo. Elle a au contraire résulté de la longue expérience, tourmentée, de l’Europe depuis la guerre avec différents régimes de change. En d’autres termes, la décision de créer la monnaie unique a été empreinte à la fois d’idéalisme et de pragmatisme.

Les Européens avaient toujours été méfiants vis-à-vis de cours de change totalement flottants, considérant la volatilité des monnaies comme un obstacle à l’intégration des échanges commerciaux. Par conséquent, dès l’effondrement du système de Bretton Woods, ils ont cherché à rétablir des taux de change fixes, d’abord avec « le serpent dans le tunnel », ensuite à travers différentes stades du Système monétaire européen. Le prix Nobel d’économie Robert Mundell, qui a développé la théorie des zones monétaires optimales, a parfaitement cerné les enjeux lorsqu’il disait ne pas comprendre pourquoi des pays en voie de former un marché commun devraient s’encombrer d’un obstacle supplémentaire aux échanges sous la forme d’incertitudes à propos des cours de change[5].

Il était donc inévitable que le marché unique soit soutenu par un régime de taux de change fixes. La question concernait les contours de ce régime. L’Europe avait en effet pâti de régimes de changes fixes sans monnaie unique.

Les pays étaient exposés aux attaques spéculatives et aux crises monétaires, la plus amère ayant été la crise du mécanisme de change européen (MCE) en 1992-1993, dans un monde, pourtant, où les capitaux ne circulaient pas aussi librement qu’aujourd’hui. La plupart des membres ne disposaient que d’une autonomie monétaire limitée dans la mesure où ils étaient tenus d’« importer », dans les faits, la politique monétaire du pays de la monnaie d’ancrage. Et les dévaluations, opérées dans certains pays, ne sont pas toujours apparues comme un mécanisme d’ajustement efficace aux chocs nominaux, entraînant plutôt une accélération de l’inflation, rendant à son tour de nouvelles dévaluations indispensables.

Par ailleurs, la crainte était que, en l’absence d’une monnaie unique, des cycles successifs de dévaluations fausseraient la concurrence et saperaient le marché unique sur le long terme. Une économie qui aurait augmenté sa productivité et sa compétitivité aurait été privée des avantages dont elle aurait dû bénéficier, à travers une augmentation de ses parts de marché, du fait des dépréciations des monnaies des pays concurrents. Et si certains pays étaient prêts à privilégier le « chacun pour soi », pourquoi les autres auraient-ils dû constamment leur ouvrir leurs frontières ?

Le problème n’était pas que le marché unique ne pouvait supporter de modestes ajustements des cours de change de certains de ses membres, mais plutôt que l’importante volatilité monétaire, du type de celle observée dans les années 1980, remettrait sérieusement en cause la volonté de tous de garder leurs marchés ouverts. On peut très bien imaginer comment, sans l’euro, les marchés des changes auraient réagi aux chocs qui se sont produits depuis sa création : la bulle informatique, la faillite de Lehman Brothers, la crise des dettes souveraines.

Les conditions de la réussite de l’Union économique et monétaire (UEM)

Cela étant, un arbitrage a toujours dû être fait concernant l’euro. En renforçant ainsi le marché unique, on s’assurerait de bénéficier des gains de l’intégration économique au profit de l’UEM dans son ensemble. Mais les différents pays perdraient des instruments d’ajustement aux chocs à court terme, notamment leur cours de change. Il importait donc, pour que l’arbitrage soit profitable, de réduire au maximum ces chocs à court terme.

Pour cela, certaines conditions devaient être remplies, telles que définies par Robert Mundell, puis par d’autres auteurs dans le cadre de la théorie des zones monétaires optimales. Il s’agissait entre autres : de l’intégration commerciale, pour réduire l’incidence des chocs asymétriques ; de la mobilité des facteurs et de la flexibilité des salaires et des prix, pour accélérer les ajustements en cas de chocs ; et d’un système de partage des risques, pour réduire les coûts du processus d’ajustement dans les différents pays membres. Dans la zone euro, cependant, il apparaissait clairement que chacune de ces conditions ne se verrait pas accorder la même importance.

En raison des barrières culturelles et linguistiques, une grande mobilité du travail restait ainsi improbable. Il en allait de même d’un partage du risque budgétaire comparable à ce qui se passait aux États-Unis, ne serait-ce qu’en raison du rôle important des budgets nationaux comme stabilisateurs budgétaires. Il était donc essentiel que les pays de la zone euro compensent la faible intégration dans ces domaines par des engagements d’autant plus forts sur d’autres aspects. Quatre éléments comptaient particulièrement.

Il fallait tout d’abord éviter les erreurs dans les politiques mises en œuvre, favorisant par exemple l’alternance de phases d’expansion et de contraction résultant d’une supervision prudentielle défaillante. Il convenait ensuite de développer la capacité de résistance aux chocs à travers des réformes structurelles et l’approfondissement continu du marché unique. Troisièmement, de saines politiques budgétaires devaient fournir des volants de sécurité suffisants au long du cycle. Quatrièmement, enfin, une union financière forte était nécessaire, avec une diversification des placements et, par conséquent, un véritable partage des risques dans le secteur privé.

Les différents pays pourraient ainsi atténuer la gravité des récessions au niveau local, dans la mesure où les chocs asymétriques seraient limités par les liens commerciaux et des politiques financières saines. En cas de chocs, les prix et les salaires pourraient s’ajuster plus rapidement, la réallocation des ressources s’ensuivant survenant elle aussi plus vite, limitant les répercussions de l’ajustement en termes de chômage. Les politiques budgétaires pourraient quant à elles être utilisées pour stabiliser les économies nationales au cours de la phase de transition. Et les pertes seraient partagées à travers l’UEM via des marchés financiers intégrés.

Rien de tout cela n’était secret. Chacun savait dès 1999 que telles étaient les conditions de la réussite. C’est la raison pour laquelle que nous avons adopté le Pacte de stabilité et de croissance pour les politiques budgétaires. C’est ce qui explique le « E » dans UEM : une convergence structurelle devait clairement s’opérer. Et c’est pourquoi la nécessité d’une intégration financière durable a toujours été au cœur des préoccupations.

Nous savons ce qui a suivi : le ralentissement du processus de réformes structurelles, l’affaiblissement du Pacte de stabilité et de croissance, la précarité de l’intégration financière et, par conséquent, la divergence sous-jacente entre les pays. Mais il faut le dire clairement : l’euro en tant que monnaie n’a pas été la cause de ces évolutions. Les autorités nationales savaient ce qu’il leur appartenait de faire. La monnaie ne les protégerait pas de leurs propres décisions.

Il convient en effet de souligner que, quand les pays adoptent des politiques adéquates, l’euro n’est pas un obstacle à la réussite. L’Allemagne, par exemple, n’a pas été confrontée à une alternance de phases d’expansion et de contraction, a mené des politiques budgétaires assez saines et a adopté plusieurs réformes de son marché du travail au début des années 2000. Le taux de chômage a baissé, revenant de près de 11 % en 2005 à moins de 4 % aujourd’hui, malgré la plus grave récession depuis les années 1930.

Même malgré certaines erreurs politiques, les pays qui remplissent les conditions nécessaires dans d’autres domaines sont en mesure de s’ajuster de façon appropriée alors qu’ils utilisent la monnaie unique. Prenons l’Irlande, qui a souffert grandement de la crise financière. Le taux de chômage y a pourtant reculé, tombant de plus de 15 % en 2012 à 7 % aujourd’hui, la flexibilité de son marché du travail et la réussite de sa stratégie industrielle visant à attirer les investissements étrangers ayant joué un rôle non négligeable.

D’aucuns pensent, aujourd’hui, que l’Europe se porterait mieux sans la monnaie unique, avec la possibilité de procéder à des dévaluations. Or, nous l’avons vu, les pays qui ont mis en œuvre les réformes ne dépendent pas d’un cours de change flottant pour dégager une croissance durable. Et pour ceux qui n’ont pas mené ces réformes, on peut s’interroger sur les bénéfices réels qu’ils recueilleraient d’un cours de change flottant. Après tout, lorsque la productivité progresse peu dans un pays en raison de problèmes structurels de fond, le cours de change ne peut être la solution.

La question importante à se poser est la suivante : si certains gouvernements n’ont pas adopté les politiques adéquates pour assurer leur réussite au sein de l’UEM, pourquoi ont-ils fait ce choix ? La zone euro s’est largement appuyée sur l’idée que le processus d’intégration suffirait en soi à créer les incitants à des politiques saines. Confrontés à une concurrence accrue du fait du marché unique et à l’incapacité de dévaluer, les gouvernements seraient contraints de remédier à leurs difficultés structurelles de longue date et de veiller à la pérennité de leurs finances publiques.

Cela ne s’est pas produit en partie sous l’effet du blocage du processus du marché unique, mais aussi par manque de quelques institutions fondamentales au niveau de la zone euro. Nous ne disposions pas d’un système commun de supervision bancaire chargé de surveiller les flux financiers, ce qui a permis, dans certains pays, de masquer des pertes de compétitivité de plus en plus élevées par une croissance d’origine financière insoutenable. Nos processus de décision communs dans les domaines budgétaire et économique étaient par ailleurs assez faibles.

Plusieurs avancées ont désormais permis de surmonter ces manquements, la plus notable ayant été la mise en place de l’union bancaire, même si ce projet reste inachevé. Et, comme l’a mentionné le rapport des cinq présidents, l’union monétaire reste assez loin d’être parfaite, ce qu’elle serait si les pays assumaient une responsabilité collective pour la zone euro dans des institutions communes.

Conclusion

Il apparaît donc clairement que l’union est la voie à suivre. Il ne faut pas tourner le dos à ce qui a fonctionné, notre modèle d’ouverture économique renforcé par la monnaie unique. Nous devons en revanche gommer les erreurs qui l’ont empêché de fonctionner aussi bien qu’il aurait dû.

En ce qui concerne les gouvernements nationaux, cela signifie remplir les conditions dont nous avons toujours su qu’elles étaient indispensables à la prospérité au sein de notre union monétaire. S’agissant de la zone euro dans son ensemble, il convient de bâtir une architecture institutionnelle incitant à mettre les politiques adéquates en place, ce qui renforcera notre capacité à faire face aux chocs économiques.

Mais les étapes nous permettant d’aboutir à cet objectif doivent être bien définies. Ce qui nous empêche d’avancer actuellement, c’est en partie nos échecs du passé, dont l’héritage induit un manque de confiance entre les pays à l’aube d’entrer dans une nouvelle phase d’intégration.

Confiance que tous les pays se conformeront aux règles qu’ils se sont fixées à eux-mêmes afin de réduire leur vulnérabilité mutuelle. Et confiance que tous mettront en œuvre les réformes nécessaires à une convergence structurelle, de sorte que le respect de ces règles devienne plus aisé et que le partage des risques ne s’accompagne pas de transferts permanents entre les pays. Le respect des règles et la convergence, et la croissance qui en découle, sont les clés, aujourd’hui, d’un nouvel élan dans le processus d’intégration.

Nous avons besoin de cet élan, car nous ne pouvons rester dans la situation actuelle. Nous devons rendre notre Union plus stable et prospère afin d’apporter à nos concitoyens la sécurité qu’ils réclament. En suivant ce chemin, nous consoliderons notre position au moment d’affronter les nouveaux défis qui se posent à nous : la montée de l’extrémisme politique, l’insécurité à nos frontières et un ordre mondial de plus en plus incertain.

Nous devons retrouver l’esprit qui a porté notre Union jusqu’à ce stade. L’esprit qui a conduit des générations d’Européens à travailler ensemble en vue de se protéger face à des menaces communes. Nos concitoyens en retirent des bienfaits tangibles, comme la liberté de travailler et de commercer à travers le continent, en utilisant une monnaie unique. Et, enfin, retrouver l’esprit qui, s’il est mis au service d’une action commune, nous permettra de surmonter les nouvelles menaces auxquelles nous sommes confrontés.

L’unité est la clé de la sécurité pour notre continent, aujourd’hui comme hier.

  1. [1]Enquête Eurobaromètre standard 86 de l’automne 2016.

  2. [2]Badinger, H., « Growth Effects of Economic Integration: Evidence from the EU Member States », Review of World Economics, Vol. 141, n° 1, pp. 50-78, 2005.

  3. [3]Campos, N., Coricelli, F. et Moretti, L., « Economic Growth and Political Integration: Synthetic Counterfactuals Evidence from Europe », IZA Discussion Paper, n° 8162, avril 2014.

  4. [4]Lejour A.M., Solanic V., Tang P. J. G., « EU Accession and Income Growth: An Empirical Approach », Transition Studies Review, Vol. 16, Issue 1, pp 127-144, mai 2009.

  5. [5]Mundell, R., « Optimum Currency Areas », intervention à l’Université de Tel Aviv, 5 décembre 1997.

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