Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie de m’avoir invité à intervenir aujourd’hui devant vous.
Si la situation dans la zone euro s’est sensiblement améliorée au cours de l’année écoulée, des défis considérables demeurent.
Nous devons en effet conforter la reprise économique, réduire la fragmentation dans la zone euro et poursuivre le processus de réformes institutionnelles et structurelles.
Pour ce faire, il est capital de ne pas se retrancher sur des positions purement nationales, sur une vision étriquée de nos intérêts respectifs. Nous devons maintenir le cap européen et défendre nos intérêts communs.
Je voudrais évoquer devant vous deux domaines dans lesquels la dimension européenne est fondamentale.
Le premier est la politique monétaire. Articulée autour d’une monnaie unique, la politique monétaire produit, par nature, des effets variables dans différentes régions. Mais il faut comprendre que le mandat de la BCE lui impose d’agir en faveur de la zone euro dans son ensemble. C’est ainsi qu’elle contribue le plus efficacement à la prospérité dans la société européenne au sens large.
Le deuxième domaine que je voudrais aborder est la mise en place de l’union bancaire, notamment à travers le mécanisme de supervision unique (MSU). Celui-ci permettra pour la première fois de superviser les banques à un échelon véritablement européen, ce qui ouvrira des opportunités que nous devrons saisir.
Pour les banques, il s’agit, grâce aussi à l’évaluation complète que conduira la BCE, d’une possibilité unique de restaurer la confiance et d’attirer les investissements privés. Pour la zone euro dans son ensemble, l’union bancaire sera aussi l’occasion d’approfondir l’intégration financière et de réduire la fragmentation. Et, pour que ce processus soit efficace, un mécanisme de résolution unique (MRU) fort est essentiel.
La politique monétaire de la BCE
En ce qui concerne tout d’abord la politique monétaire de la BCE, notre mandat est intrinsèquement européen puisqu’il nous commande de maintenir la stabilité des prix dans la zone euro dans son ensemble. Par ailleurs, ce mandat est symétrique. N’oublions pas, en effet, que la stabilité des prix doit être comprise dans ses deux dimensions : nous devons agir à la fois quand l’inflation à moyen terme menace d’être trop faible et en cas d’accélération excessive.
Comme j’ai eu l’occasion de le dire hier, nous avons récemment décidé d’abaisser nos taux d’intérêt pour tenir compte d’une situation caractérisée par des perspectives d’inflation trop fortement orientées à la baisse. Cette décision s’imposait dans le cadre de notre mandat.
J’ai aussi pu répondre à certaines inquiétudes que cette décision a fait naître. Permettez-moi d’y revenir un instant.
Une première préoccupation tient à l’érosion de l’épargne provoquée par les faibles taux d’intérêt. Une autre associe ces taux bas à des risques pour la stabilité financière. Une troisième inquiétude, enfin, tient à l’affaiblissement de l’incitation à mener des réformes qui en résulterait pour les administrations publiques.
Je voudrais répondre point par point.
Je comprends les inquiétudes relatives à l’incidence sur l’épargne d’une période prolongée de faibles rendements. Mais les taux d’intérêt sont bas parce que l’économie est atone. Une hausse des taux pèserait davantage sur l’économie, de nombreux emplois seraient perdus et l’épargne des personnes concernées s’amenuiserait plus longtemps encore.
Le maintien des taux d’intérêt à un niveau favorable à la reprise devrait permettre un meilleur rendement futur de l’épargne.
En outre, le taux d’intérêt le plus pertinent pour les épargnants à long terme n’est pas le principal taux directeur de la BCE, mais le taux en vigueur pour les investissements sûrs à long terme, le Bund allemand par exemple.
Il est faux de penser que ces taux sont uniquement déterminés par la BCE. Avec la crise, des facteurs plus puissants sont à l’œuvre. Le faible rendement des Bunds à long terme, en particulier, était largement imputable à l’appétence pour la sécurité de la part des investisseurs, confrontés aux difficultés traversées par d’autres régions de la zone euro.
S’agissant de la stabilité financière à présent, il est vrai que la persistance de faibles taux d’intérêt peut constituer une menace, mais nous n’en percevons aucun signe à ce stade.
Si ces faibles taux créent des risques localement, c’est au moyen des instruments locaux qu’il faut les traiter. Il appartient aux autorités nationales, notamment, d’utiliser pleinement les instruments macroprudentiels dont elles disposent.
La troisième préoccupation, enfin, a trait à l’affaiblissement des incitations à la réforme dans un environnement de taux d’intérêt bas. La politique monétaire produit en soi, de façon inévitable, des effets secondaires. Mais il ne faut jamais perdre de vue que la BCE agit en faveur de la zone euro dans son ensemble, conformément à son mandat.
J’ai déjà eu l’occasion de réagir, récemment, aux accents « nationalistes » auxquels cette préoccupation a donné lieu dans certains commentaires. Je tiens à rappeler que, dans leurs délibérations et leurs décisions, les membres du Conseil des gouverneurs ne sont ni Allemands, ni Français, ni Espagnols, ni Italiens : ils agissent en tant qu’Européens dans le respect d’un mandat européen.
Les différents pays doivent, s’ils veulent préserver les incitations adéquates en matière de politiques économiques, renforcer leur cadre de gouvernance économique. Des avancées importantes ont d’ores et déjà été réalisées dans le renforcement de la discipline budgétaire. Mais plusieurs pays sont en retard dans la mise en œuvre des réformes structurelles. Il est donc temps que ce domaine fasse l’objet d’une gouvernance européenne plus étroite.
Le mécanisme de supervision unique
J’en viens maintenant à la seconde partie de mon intervention, consacrée à la création du mécanisme de supervision unique.
Le MSU offre une formidable opportunité de passer d’approches nationales différentes dans le traitement des banques à une perspective véritablement européenne. Autrement dit, d’assumer pour nos banques une responsabilité collective cohérente avec le marché financier unique dans lequel elles opèrent.
L’évaluation complète de la BCE
Renforcer nettement la confiance dont jouissent les banques à l’intérieur et au-delà des frontières des pays qui adhèrent au MSU est une nécessité évidente.
C’est d’ailleurs l’objectif de l’évaluation complète de la BCE. Comment cet objectif pourra-t-il être atteint ?
Essentiellement, en garantissant plus de transparence à toutes les parties. Les investisseurs devraient notamment pouvoir disposer des éléments d’information dont ils ont besoin pour évaluer correctement les actifs et être assurés que les banques sont suffisamment capitalisées.
Pour ce faire, l’exercice s’appuiera sur une évaluation prudentielle des risques, un examen de la qualité des actifs des banques et un test de résistance. Je n’entrerai pas dans le détail des différentes étapes, qui feront chacune l’objet de communications individuelles, mais je peux dire d’ores et déjà que l’exercice sera complet et cohérent.
Complet parce qu’il couvrira 128 banques, soit environ 85 % des actifs bancaires des pays participant au MSU.
Et cohérent parce qu’il sera conduit de manière centralisée et effectué selon une méthodologie commune rigoureuse qui ne laissera aucune place à la perception de biais nationaux.
La crédibilité et la rigueur de cet exercice ne sauraient donc être mises en doute, pas plus que la comparabilité des résultats.
Permettez-moi d’ajouter que, d’ici la fin janvier 2014, nous devrions annoncer, conjointement avec l’Autorité bancaire européenne (ABE), les principaux paramètres du test de résistance.
Nous nous sommes réunis récemment avec les directions de banques et leurs autorités nationales de supervision. Lors de ces réunions, nous avons souligné que le succès de l’exercice ne sera garanti que si nous disposons d’informations de haute qualité. À ce propos, nous venons de lancer la première phase de collecte de données, baptisée « Sélection des portefeuilles ».
Nous sommes conscients que la collecte de ces informations demande un effort considérable aux autorités nationales de supervision et aux banques en particulier. À cet égard, il est bon de rappeler que cette caractéristique du MSU n’a pas vocation à être permanente ou récurrente.
Depuis l’année dernière, les banques renforcent la solidité de leurs bilans en augmentant leurs fonds propres et leurs provisions. L’exercice produit donc déjà des résultats et j’encourage les banques à poursuivre dans cette voie. Grâce à l’amélioration des conditions de marché, les solutions de marché devraient être plus accessibles qu’il y a peu encore.
Si le secteur privé ne parvient pas à trouver des solutions réalistes rapidement, le secteur public devra également prendre ses responsabilités. Pour garantir la crédibilité de l’exercice, nous avons besoin de mécanismes de soutien publics bien définis au niveau tant national qu’européen. Dans le cas où de tels mécanismes seraient mis en œuvre, rappelons que la Commission a précisé que les règles en matière d’aides d’État garantiront une répartition équitable des charges et que la stabilité financière sera entièrement préservée.
L’évaluation complète de la BCE est donc la première étape pour rétablir la confiance dans les banques de la zone euro ainsi qu’entre les pays de la zone euro et les autorités de supervision nationales compétentes.
J’appelle toutes les banques concernées par le MSU à s’associer à nos efforts dans les prochains mois en fournissant à la BCE et aux autorités nationales les informations nécessaires, en entreprenant des actions préalables le cas échéant et en réagissant de manière proactive aux conclusions de l’exercice.
Favoriser l’intégration financière
Une fois mis en place, le MSU offrira une opportunité réelle d’adopter une nouvelle approche européenne de la gouvernance du secteur financier et donc de remédier à la fragmentation financière qui sévit depuis le déclenchement de la crise.
Le MSU aura trois atouts.
Premièrement, il pourra endosser une fonction de supervision dans l’intérêt européen. En tant qu’autorité de supervision européenne, il ne sera pas influencé par les « champions nationaux », alors que son mandat est entièrement conforme à son objectif de stabilité financière pour l’Europe.
L’indépendance juridique mais aussi vis-à-vis de tout gouvernement ou de tout système financier national dont jouira cette nouvelle autorité de supervision facilitera la poursuite de cet objectif.
Deuxièmement, le MSU pourra renforcer la confiance parmi les autorités de supervision. Depuis le début de la crise, certaines d’entre elles, mues par l’incertitude, ont engagé des actions défensives telles que le cantonnement national de la liquidité ou l’appariement national des actifs et des passifs. Ces mesures ont peut-être été rationnelles compte tenu du mandat de ces autorités mais elles ont eu pour effet d’accentuer la fragmentation.
Dans le cadre du MSU, les autorités de supervision partageront des règles, des normes et des procédures de décision communes. Dès lors, quand le MSU constatera qu’une banque est saine sur la base d’une évaluation prudentielle, cette analyse fera office de « label de qualité » valable d’un pays à l’autre.
Troisièmement, le MSU pourra favoriser la confiance entre les banques.
La supervision européenne devrait inciter les banques à se prêter plus volontiers entre elles par-delà les frontières, en particulier sur le marché interbancaire. Elle pourrait aussi les rendre plus enclines à s’engager dans des opérations de fusion et acquisition transfrontières, ce qui aurait pour effet d’approfondir l’intégration financière et d’accroître la résistance de la zone euro à la fragmentation.
À long terme, notre ambition pour le MSU est de créer un environnement dans lequel une entreprise ou un ménage solvable pourra obtenir un crédit auprès de n’importe quelle banque en Europe, à des conditions comparables d’un établissement à l’autre, et où les considérations géographiques seront secondaires.
Cela étant, des améliorations devront être apportées dans d’autres domaines. L’activité et l’intégration bancaires transfrontières ne sont pas freinées par les seules divergences dans la supervision. La disparité des cadres juridiques nationaux, des régimes fiscaux et des règles de gouvernance d’entreprise contribue elle aussi à la fragmentation. Pour faciliter la réintégration financière, ces questions méritent un examen attentif.
Le mécanisme de résolution unique, complément essentiel
La construction d’un marché bancaire européen plus intégré passe également par une meilleure harmonisation des modalités de résolution des banques non viables.
Cela requiert la mise en place d’un cadre juridique cohérent entre les pays ainsi qu’un mécanisme de résolution unique (MRU) à même de le mettre en œuvre. Si ce cadre a déjà été approuvé par les gouvernements, le MRU devrait, quant à lui, être mis en place dans les meilleurs délais.
Ce MRU robuste couvrirait l’ensemble des banques établies dans les États membres participant au MSU. Il devrait être organisé autour d’une autorité unique de résolution puissante et indépendante pouvant agir de façon uniforme dans chaque pays et prendre ses décisions dans l’intérêt européen. Il disposerait en outre des pouvoirs, instruments et ressources financières adéquats pour procéder rapidement et efficacement à la résolution des établissements de crédit.
La clé de la réussite est que le régime de résolution soit un vecteur de sécurité juridique, de cohérence et de prévisibilité, et évite de créer des situations ad hoc. Pour ce faire, je vois deux domaines dans lesquels nous avons besoin de plus de sécurité.
Premièrement, si le nouveau cadre de résolution de l’Union européenne fournit la boîte à outils appropriée, il serait préférable de pouvoir en disposer dès l’entrée en vigueur du MRU. Je suis dès lors favorable à une mise en œuvre de l’instrument de renflouement interne ( bail-in) bien avant 2018.
Deuxièmement, pour être en mesure d’évaluer les risques correctement, les investisseurs doivent connaître la hiérarchie entre les sources de financement de toute résolution, des réductions de capital au renflouement interne en passant par le recours à un fonds unique de résolution abondé par les banques.
Il est toutefois difficile d’assurer la crédibilité d’un tel dispositif sans un mécanisme de soutien public au fonds de résolution unique pour les cas exceptionnels où ses ressources seraient épuisées. Si un mécanisme de cette nature n’était pas prévu, les investisseurs pourraient craindre que les pouvoirs publics ne soient à nouveau contraints d’intervenir.
Avec un tel mécanisme de soutien, c’est toujours le secteur privé qui serait amené à couvrir les interventions puisque tout emprunt contracté par le fonds devrait être remboursé, le cas échéant par le biais de prélèvements ex post sur le secteur bancaire. En d’autres termes, le futur système ne consisterait pas en des renflouements externes ( bail-out) ou en une mutualisation des dettes mais serait neutre budgétairement. Le contribuable ne serait pas amené à intervenir.
Conclusions
Je voudrais à présent conclure mon propos.
J’ai évoqué aujourd’hui les avantages d’une perspective européenne pour répondre aux enjeux actuels. Dans le cadre d’une union monétaire étroitement intégrée, cette perspective n’est pas idéaliste, mais bien réaliste.
La perspective européenne est solidement ancrée dans notre politique monétaire ainsi que dans l’approche que nous avons adoptée pour mettre en place le MSU. Nous surmonterons l’obstacle de la fragmentation afin de créer un marché financier véritablement intégré. Il reste encore beaucoup à faire pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés mais le cap que nous avons choisi est le bon.
Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention.