La France, l'Europe, l'euro et la BCE,
Discours de M. Christian Noyer Vice-président de la Banque centrale européenne,à l'Université de Nantes, le 22 mars 2002.
Introduction
Mesdames et Messieurs,
C'est un grand plaisir pour moi d'avoir été invité à vous faire part de mes vues sur l'euro, la BCE et la politique monétaire unique trois ans après l'entrée en vigueur de la troisième phase de l'Union économique et monétaire (UEM).
L'objectif principal de la BCE
Le Traité instituant la Communauté européenne a fixé comme objectif principal à la politique monétaire unique le maintien de la stabilité des prix dans la zone euro. La politique monétaire ne peut poursuivre qu'un seul objectif principal. La longue expérience acquise par les banques centrales nationales participantes leur a donné la conviction que c'est en maintenant de manière crédible et durable la stabilité des prix que la politique monétaire unique peut le mieux contribuer à une croissance économique soutenue sur le long terme, à la création d'emplois et à l'amélioration du niveau de vie. Exiger davantage de la politique monétaire ou l'utiliser à d'autres fins risquerait de générer des illusions sur ce que l'on peut obtenir grâce à elle. Les événements des années 1970, en particulier, ont montré que lorsqu'une banque centrale vise à stimuler l'activité réelle en mettant en œuvre une politique monétaire excessivement expansionniste, elle doit faire face à une inflation plus élevée et à des risques d'instabilité financière. Du fait de la nécessité d'engager par la suite un processus de désinflation, les inconvénients à long terme d'une telle politique expansionniste, qui se matérialisent par une baisse de la production et de l'emploi, l'ont toujours largement emporté sur les avantages tirés dans l'immédiat de l'impulsion donnée ponctuellement à la croissance.
À l'inverse, la stabilité des prix, en renforçant la transparence du mécanisme de formation des prix et en empêchant à la fois les distorsions d'origine fiscale et la mauvaise allocation de l'épargne et de la richesse, contribue à l'affectation efficace des ressources de l'économie. De plus, en évitant de devoir se prémunir contre les risques d'inflation et, en particulier, en réduisant au minimum la prime de risque intégrée dans les taux d'intérêt à long terme, la stabilité des prix permet de mobiliser les ressources réelles en faveur de la production et de l'investissement. Elle favorise ainsi la croissance de l'économie et le développement de l'emploi.
Aux fins de conforter et de sauvegarder la stabilité des prix, le Traité a doté la BCE d'un degré élevé d'indépendance institutionnelle. Parallèlement, pour garantir la transparence et la responsabilité en ce qui concerne la conception et la mise en œuvre de la politique conduite par la BCE, le Traité lui a également imposé l'obligation de présenter des rapports. La BCE est allée plus loin, plaçant ainsi la barre très haut. Les décisions de politique monétaire sont régulièrement expliquées dans le cadre des conférences de presse que le président et moi-même donnons à l'issue de la première réunion mensuelle du Conseil des gouverneurs de la BCE, dans le Bulletin mensuel de la BCE, dans les discours des membres du Conseil des gouverneurs ainsi que dans les auditions du Président et d'autres membres du Directoire devant le Parlement européen.
Aspects fondamentaux de la stratégie de politique monétaire de la BCE
Afin de remplir le mandat que lui a confié le Traité, la BCE a élaboré une stratégie de politique monétaire axée sur le moyen terme.
Pour renforcer la clarté, établir un point d'ancrage pour les anticipations d'inflation et fournir un point de repère permettant de juger l'action de la BCE, le Conseil des gouverneurs de la BCE a annoncé une définition quantitative de la stabilité des prix, à savoir une « progression sur un an de l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) inférieure à 2 % dans la zone euro ». Cette définition est très proche des objectifs que s'étaient fixés la plupart des banques centrales nationales participantes avant le début de la troisième phase de l'UEM. La Banque de France, par exemple, avait défini en 1998 la stabilité des prix comme une hausse des prix à la consommation « n'excédant pas 2 % ».
En outre, le Conseil des gouverneurs a souligné que la stabilité des prix devait être maintenue à moyen terme. Le fait d'axer la stratégie sur le moyen terme garantit qu'une orientation appropriée est donnée à la politique monétaire, ce qui permet des réactions appropriées de politique monétaire face aux menaces pesant sur la stabilité des prix tout en empêchant qu'une instabilité inutile ne s'installe dans l'économie. L'orientation à moyen terme prend également en compte de manière réaliste le fait que l'instabilité à court terme des prix ne peut être contrôlée par la politique monétaire et que celle-ci doit, dès lors, être seulement tenue responsable de l'évolution des prix à moyen terme.
Reconnaître que la politique monétaire doit faire face à un monde en mutation permanente et dont nous ne possédons qu'une connaissance imparfaite a constitué l'un des éléments fondamentaux lors de l'élaboration de la stratégie de politique monétaire de la BCE. Le Conseil des gouverneurs a décidé de se doter d'un cadre élargi, mais solide, pour l'analyse des évolutions et des chocs économiques, que nous appelons les deux piliers de notre stratégie de politique monétaire. Compte tenu de la nature monétaire de l'inflation sur le long terme, le premier pilier assigne un rôle prééminent à la monnaie. Cela implique de recourir à des analyses monétaires et à des modèles dans lesquels les agrégats monétaires jouent un rôle important pour les besoins de l'analyse des risques pesant sur la stabilité des prix. Parallèlement, le second pilier garantit que d'autres formes d'analyses et de modèles, tels que l'examen des interactions entre offre et demande ou des tensions sur les coûts, sont également intégrées dans l'analyse de l'évolution des prix. Ensemble, les deux piliers garantissent une évaluation globale de la situation économique et permettent de se concentrer sur la nature des chocs affectant la zone euro, donnant ainsi des orientations appropriées pour la prise de décision.
Un format unique pour tous ?
La définition de la stabilité des prix retenue par la BCE s'entend comme une quantification de l'objectif principal de la BCE qui s'applique à la zone euro dans son ensemble. Cela implique que l'évolution globale de la zone euro est seule pertinente pour l'appréciation du succès de la politique monétaire unique dans la poursuite de son objectif principal. Les pays de la zone euro ne doivent pas nécessairement afficher, et ne présenteront pas toujours, des évolutions de prix identiques. De même que le maintien de la stabilité des prix au sein d'un seul pays est compatible avec les divergences constatées entre les rythmes de variation des prix dans ses différentes régions et villes, la stabilité des prix dans la zone euro est compatible avec les écarts d'inflation existant entre les divers pays participants. En effet, il ressort des études portant sur les écarts de prix entre les principales villes des États-Unis que ceux-ci sont aussi importants, et parfois même plus grands, qu'entre les pays de la zone euro.
Ces écarts sont-ils un sujet de préoccupation ? Tout dépend de leur origine. Les écarts d'inflation résultant de ce qui, dans les débats publics, est souvent désigné par les termes de « processus de rattrapage », comme l'illustre la théorie de Balassa et Samuelson, devraient être considérés comme un élément d'un processus normal d'ajustement compatible avec le bon fonctionnement de l'économie. Ils ne constituent donc pas une source d'inquiétude. Un processus de rattrapage peut démarrer lorsque le niveau de productivité – et par conséquent le revenu par habitant – d'un pays de l'union monétaire est (très) inférieur à celui des autres économies participantes. Lorsque certains secteurs productifs, à savoir ceux des biens exportables, se trouvent exposés à la concurrence internationale, ce pays traverse en général une période transitoire de rattrapage durant laquelle il peut afficher, dans ces mêmes secteurs, une croissance de la productivité plus rapide que celle obtenue par des pays participants ayant atteint un stade plus avancé. Ce processus de rattrapage peut, à son tour, engendrer des hausses de prix plus rapides si l'augmentation de la productivité que le pays a enregistrée dans le domaine des biens exportables ne s'accompagne pas de gains de productivité similaires dans les secteurs des biens non exportables, dans la mesure où les salaires dans les secteurs des biens exportables et non exportables ont tendance à converger. Au sein de la zone euro, l'incidence des effets de rattrapage sur le niveau des prix devrait être faible étant donné qu'un processus de convergence de grande ampleur en ce qui concerne le revenu par habitant s'est déjà opéré au cours des dernières décennies.
Toutefois, lorsque les écarts d'inflation découlent de hausses excessives des salaires, d'une croissance intenable des marges bénéficiaires ou d'une orientation expansionniste de la politique budgétaire, la situation peut s'avérer préoccupante. Chacun de ces facteurs peut, en fait, entraîner une perte de compétitivité et, finalement, un ralentissement de la croissance et de l'emploi. Il s'agit là cependant de problèmes auxquels la politique monétaire unique n'est pas en mesure de répondre. C'est aux politiques économiques nationales qu'il incombe d'éviter de telles situations, ou d'y faire face. Je reviendrai sur ces questions ultérieurement.
Les écarts d'inflation peuvent aussi être induits par des chocs économiques ou de politique économique affectant à des degrés et des moments divers les pays et les régions de la zone euro. De même, les économies locales peuvent réagir de manière différente à un choc commun en raison de leurs structures économiques spécifiques.
Particulièrement durant la période ayant précédé la troisième phase de l'UEM, l'importance quantitative des chocs asymétriques a retenu l'attention des analystes et des observateurs. Le cadre économique qu'ils avaient à l'esprit, connu sous le nom de théorie des zones monétaires optimales, prévoit que la création d'une zone monétaire commune génère des coûts proportionnels au nombre de chocs idiosyncratiques affectant les pays participants, au regard de leur ampleur, de leur nature et de leur fréquence. En outre, l'importance des coûts est liée à la disparité des mesures prises pour réagir à de tels chocs. Tout en tenant compte des chocs asymétriques et des mécanismes d'ajustement, il convient d'étudier cette question dans un cadre plus général, à l'intérieur duquel tous les effets bénéfiques de la troisième phase de l'UEM sont pris en compte. Ces effets sont appréciables. D'un point de vue politique, l'unification monétaire, qui s'inscrit dans le cadre plus général du processus d'intégration européenne, doit être considérée comme un élément apportant une paix durable et un renforcement de la coopération entre les pays participants. D'un point de vue économique, l'unification monétaire doit être perçue comme un facteur de prospérité et de stabilité. Il ne fait aucun doute que la troisième phase de l'UEM a dès à présent eu, et continuera d'avoir, une incidence positive sur la France et les autres pays de la zone euro.
Les effets potentiels liés aux asymétries méritent cependant d'être examinés. Dans quelle mesure ces asymétries perdurent-elles et constituent un sujet de préoccupation ? Le meilleur moyen d'appréhender ce problème consiste à comparer la zone euro aux États-Unis. Ce pays constitue, semble-t-il, une référence assez naturelle. Son économie présente un certain nombre de similitudes avec celle de la zone euro, s'agissant en particulier de sa taille et de la population. L'une des démarches inhérentes à cette approche consiste à comparer le degré de synchronisation de l'activité économique entre pays de la zone euro avec celui des États et régions des États-Unis. Une première conclusion intéressante qui peut être tirée des études empiriques est que les États-Unis connaissent également des fluctuations asynchrones. Il ne serait donc pas étonnant d'observer un fait similaire dans la zone euro. Cependant, les éléments d'appréciation ressortant de plusieurs études réalisées au cours des années passées indiquent sans ambiguïté un degré supérieur de corrélation aux États-Unis. Toutefois, la plupart des études ont permis de constater un degré de synchronisation élevé, et qui va croissant, au sein de la zone euro, non seulement sur longue période, mais aussi au cours des dernières années. Ce degré de convergence semble se rapprocher des niveaux enregistrés aux États-Unis. Des conclusions similaires peuvent être tirées des analyses qui évaluent l'incidence différenciée des chocs asymétriques et de l'ajustement qui en résulte.
Ces conclusions semblent s'inscrire en opposition avec la structure de la production plus diversifiée de plusieurs pays de la zone euro, comparée à celle que l'on trouve dans les différents États américains. Cependant, ce fait s'explique par la combinaison de deux facteurs : la répartition des chocs et les processus d'ajustement aux chocs mis en œuvre à l'échelon national. En Europe, les effets relatifs de ces deux forces n'apparaissent pas clairement.
Outre ces éléments, on peut mettre en avant que l'analyse de l'évolution des économies de la zone euro sur la seule période précédant la mise en place de l'union monétaire, afin d'évaluer les développements futures éventuels, peut être source de méprise. En fait, l'entrée dans une union monétaire pourrait avoir conforté l'intégration économique, stimulé les échanges intra-zone euro et, avec l'interdépendance accrue, renforcé le degré de synchronisation des fluctuations macroéconomiques entre les pays participants. Par ailleurs, l'adoption de la même monnaie a éliminé un facteur majeur d'instabilité d'origine externe qui a affecté les économies de la zone euro dans le passé, à savoir les chocs de grande ampleur sur les cours de change. De plus, le resserrement des liens commerciaux se traduira par une synchronisation accrue. En fait, l'adoption d'une monnaie commune, en éliminant le risque de change et en réduisant les coûts de transaction, favorise les échanges entre les membres de l'union.
En théorie, un accroissement des échanges commerciaux entre deux ou plusieurs pays pourrait aussi entraîner un effet contraire, qui augmenterait les différences entre les cycles d'activité. Tel pourrait être le cas, par exemple, si un renforcement de l'intégration et une hausse des échanges se traduisaient par un degré accru de spécialisation, ce qui entraînerait des structures de production plus hétérogènes d'un pays à l'autre, rendant ces derniers plus vulnérables aux chocs idiosyncratiques. La question de savoir quels effets prévalent est essentiellement empirique, car les deux options sont possibles. À ce stade, les éléments disponibles pour la zone euro semblent indiquer que plus les pays sont intégrés et plus les échanges entre eux sont développés, plus la corrélation entre les différents cycles d'activité est forte.
Il est encore trop tôt pour estimer l'incidence de la phase III de l'UEM sur la réduction de la sévérité des chocs asymétriques et sur le renforcement de la synchronisation des cycles d'activité entre les pays participants. Cet effet se fait à coup sûr déjà sentir, mais le temps nécessaire à son plein développement est très incertain.
Si d'utiles enseignements peuvent être tirés d'une comparaison avec les États-Unis, il ne faut pas les surestimer. Par ailleurs, des différences importantes entre la zone euro et les États-Unis peuvent être identifiées. Ainsi, aux États-Unis, le poids des marchés boursiers est relativement plus élevé et ceux-ci peuvent amplifier l'incidence des chocs sur l'économie réelle. En outre, certains éléments indiquent que l'ajustement aux chocs asymétriques est plus rapide aux États-Unis que dans la zone euro, principalement en raison d'une mobilité plus faible des capitaux et de la main-d'œuvre dans la zone euro. La mobilité de la main-d'œuvre, notamment, qui constitue l'un des mécanismes d'ajustement les plus importants aux États-Unis, s'avère souvent nettement moins développée dans la zone euro. Cet aspect est partiellement compensé par une mobilité accrue des capitaux, qui a été renforcée par la création du marché unique en Europe, mais, dans de nombreux pays de la zone euro, la mobilité de la main-d'œuvre demeure insuffisante.
Une union monétaire exige des marchés flexibles
Lorsque la mobilité de la main-d'œuvre est faible, une réponse efficace aux chocs économiques affectant les pays de la zone euro de manière asymétrique exige, localement, de rapides ajustements des prix et des salaires. La flexibilité des mécanismes de formation des prix et des salaires est par conséquent cruciale pour la zone euro. Plus précisément, une flexibilité accrue permettrait aux régions ou aux économies nationales d'opérer des ajustements plus rapides et plus souples aux chocs touchant des secteurs particuliers. Il convient, en outre, d'avoir toujours présent à l'esprit que nos économies opèrent dans un contexte mondial de plus en plus concurrentiel, exigeant des ajustements plus fréquents, particulièrement dans certains secteurs.
Pour ces raisons, et bien d'autres, des réformes structurelles destinées à accroître la mobilité, renforcer la concurrence et réduire les rigidités et les distorsions sur les marchés du travail, des biens et des services sont indispensables dans la zone euro.
En ce qui concerne les marchés de produits, des progrès ont été réalisés ces dernières années. L'intégration de ces marchés s'est accentuée et certains secteurs, comme les activités de réseau, sont en cours de libéralisation. L'adoption du statut de la société européenne par le Conseil de l'Union européenne a, à cet égard, constitué un pas dans la bonne direction. Ce statut permet, et régit, la création de sociétés opérant à l'échelle européenne et soumises à la législation communautaire. Une autre réforme ambitieuse est la libéralisation des services postaux au sein de l'Union, même si sa pleine mise en œuvre prendra du temps. Mais, malgré des évolutions encourageantes comme celles-là, la libéralisation se déroule à un rythme inégal dans les différents États membres et davantage d'efforts restent nécessaires : en effet, plusieurs secteurs, dans différents domaines d'activité, restent confrontés à un excès de réglementation. Ces retards constituent autant de freins à la flexibilité et à la concurrence, dont l'approfondissement est pourtant nécessaire si l'on veut assurer des perspectives de croissance et d'emploi soutenables à long terme.
Un domaine déjà évoqué où il reste beaucoup à faire est celui des marchés du travail. La réforme des marchés du travail de la zone euro pourrait avoir des retombées extrêmement positives en termes de prospérité et de croissance de l'emploi. Les mesures prises dans les années 1990 ont déjà eu des effets positifs, notamment une croissance plus forte de l'emploi et un important recul des taux de chômage enregistrés dans la zone euro au cours des dernières années.
L'avancée des réformes structurelles des marchés du travail a cependant été très inégale entre les pays de la zone euro. En effet, des rigidités persistent. Il en résulte notamment, selon certaines études, que malgré un taux de chômage de 8,3 % dans la zone euro en 2001, les entreprises ont des difficultés à recruter. De telles inadéquations entre offre et demande de travail confirment que davantage de réformes sont nécessaires, non seulement pour accroître l'offre et la demande de travail et augmenter les créations d'emploi, mais aussi pour mieux faire en sorte que les postes vacants soient pourvus et que les chômeurs retrouvent un travail plus rapidement. De plus, un taux de chômage dépassant encore 8 %, de faibles taux d'activité et des performances inégales des marchés de l'emploi dans les pays de la zone euro indiquent avec force que de nouvelles mesures doivent être prises. Les réformes sont notamment nécessaires pour améliorer le placement des travailleurs, pour accroître la flexibilité et la différenciation des salaires, pour améliorer l'enseignement et promouvoir la formation et l'apprentissage tout au long de la vie afin de préserver et développer le capital humain. En outre, des réformes des systèmes fiscaux et de sécurité sociale, l'introduction d'une législation moins restrictive en matière de protection de l'emploi et de flexibilité du temps de travail ainsi que des mesures destinées à accroître la mobilité de la main-d'œuvre s'imposent également.
Il importe aussi de noter que ces réformes devraient être réalisées plus largement, de manière plus systématique et coordonnée qu'à l'heure actuelle, à travers les secteurs et les pays. Si l'objectif est de faire de la zone euro l'économie la plus compétitive et dynamique du monde, comme cela a été décidé au sommet de Lisbonne en mars 2000, davantage d'efforts doivent être consentis.
Les défis en matière de politique budgétaire
J'aimerais à présent porter mon attention sur la politique budgétaire. Les politiques budgétaires nationales menées en Europe obéissent aux dispositions en la matière contenues dans le Traité de Maastricht et le Pacte de stabilité et de croissance. Les dispositions du Traité de Maastricht, qui fixent un plafond au déficit public et à la dette publique, ont été capitales dans l'assainissement des finances publiques. Le Pacte de stabilité et de croissance, conclu en 1997, a pour sa part introduit l'objectif, à moyen terme, d'une situation budgétaire proche de l'équilibre ou en excédent.
La politique monétaire étant conduite pour la zone euro dans son ensemble, les gouvernements nationaux disposent avec les politiques budgétaires d'un important instrument pour stabiliser la demande et la production intérieures. Des politiques budgétaires rigoureuses et saines appuient la politique de stabilité de la BCE en réduisant les risques pour la stabilité des prix.
Les stabilisateurs automatiques sont un mécanisme qui peut amortir les fluctuations de la demande et les évolutions des prix au niveau national. Les stabilisateurs automatiques budgétaires sont des mécanismes intégrés aux codes des impôts et à la législation sociale. Ils permettent de prendre des mesures budgétaires rapides et symétriques face aux fluctuations économiques en réduisant les pressions sur la demande dans une économie pendant les périodes de forte croissance et en soutenant l'économie en période de ralentissement de l'activité, sans exiger d'autres interventions des pouvoirs publics.
Les stabilisateurs automatiques ne peuvent toutefois pleinement jouer leur rôle que si les pays préservent la pérennité des finances publiques à travers des positions budgétaires saines et une dette contenue. Si tel n'est pas le cas, le service de la dette et le risque de déficits excessifs réduisent la possibilité qu'ils ont de laisser agir les stabilisateurs automatiques. La stratégie visant à atteindre et à conserver une position à moyen terme proche de l'équilibre ou en excédent, conformément au Pacte de stabilité et de croissance, va dans le sens de finances publiques durablement stables et favorise par conséquent également le rôle de stabilisateur des finances publiques.
Il est toutefois permis de douter fortement de l'efficacité de mesures budgétaires discrétionnaires de réglage fin pour influencer la demande globale, et cela en raison des délais liés à leur mise en œuvre et des changements d'orientation politique.
Permettez-moi à présent de formuler quelques réflexions sur la relation entre la politique monétaire et la politique budgétaire. La BCE suit attentivement l'évolution des politiques budgétaires, car celles-ci constituent l'un des principaux domaines pouvant générer d'importants chocs pour la stabilité des prix et les taux d'intérêt à long terme. Dans le passé, de nombreuses périodes de forte inflation ont été imputables à une mauvaise gestion des finances publiques alliée à une politique monétaire très accommodante. La politique monétaire vise à assurer la stabilité des prix à moyen terme. Elle tient compte, pour ce faire, des évolutions budgétaires. Le cadre de politique monétaire de la BCE n'envisage cependant pas de réaction mécanique face aux changements de politique budgétaire.
Je dirais en outre que nul n'est besoin de coordonner davantage la politique monétaire et les politiques budgétaires dans la zone euro si tous les niveaux de pouvoir agissent dans le cadre clair, à moyen terme, qu'ont établi le Traité de Maastricht et le Pacte de stabilité et de croissance. Aussi longtemps que les pays participants respectent les objectifs de ce cadre budgétaire européen, leur orientation budgétaire vient étayer une politique monétaire commune axée sur la stabilité et chacun d'eux dispose des instruments budgétaires permettant de faire face aux fluctuations cycliques asymétriques ou aux chocs temporaires.
Quelques réflexions sur les trois premières années de la politique monétaire commune
Pour conclure mon intervention, j'aimerais vous donner un aperçu de l'expérience que la BCE a acquise au cours des trois premières années de la monnaie unique.
Pendant cette période, la politique monétaire unique a été confrontée, notamment, à des fluctuations imprévues de l'activité économique, à l'intérieur comme à l'extérieur de la zone euro, comme la dépréciation du cours de change de l'euro et la forte hausse des prix du pétrole et des produits alimentaires à des moments divers. Les prévisionnistes et les marchés financiers n'en ont pas moins gardé confiance en la capacité de la BCE à réaliser son principal objectif à moyen terme. Les enquêtes sur les anticipations d'inflation à long terme et les anticipations d'inflation contenues dans les taux d'intérêt à long terme ont invariablement été conformes à notre objectif de stabilité des prix.
L'introduction de l'euro scriptural il y a trois ans et le passage à l'euro fiduciaire cette année sont deux autres réussites indiscutables de la BCE et de la politique monétaire unique. Le passage à l'euro fiduciaire a constitué un défi sans précédent et son succès a été bien au-delà de nos propres espérances. Depuis le début du processus de basculement aux nouveaux billets et aux nouvelles pièces en euros, les personnes vivant dans la zone euro ont fait preuve d'un grand enthousiasme.
Le lancement de l'euro, en 1999, a ouvert la voie à de profonds changements des conditions dans lesquelles les gouvernements, les institutions financières et le secteur privé opèrent sur les marchés financiers de la zone euro et du reste du monde. Au sein de la zone euro, l'élimination des risques de change et la diminution du coût des opérations qui s'en est suivi, ainsi que le net surcroît de transparence que l'euro a apporté sur le marché, ont ouvert de nouvelles perspectives aux entreprises et les ont forcées à se montrer plus efficaces et compétitives. L'euro a également agi comme un catalyseur dans le processus d'intégration financière en favorisant l'élargissement et l'approfondissement des marchés financiers de la zone euro. Un marché monétaire vaste, liquide et intégré a rapidement vu le jour après le 1er janvier 1999, entraînant à son tour une croissance considérable des instruments sur taux d'intérêt libellés en euros. Sur le marché monétaire des opérations en blanc, le taux d'intérêt de référence - l'Eonia (taux interbancaire au jour le jour établi par la BCE) - est apparu comme l'un des plus importants, voire le plus important, taux de référence. Le marché des swaps Eonia est à présent considéré comme le plus grand marché de swaps au jour le jour dans le monde. De même, l'euro a joué un rôle crucial dans le développement d'un marché obligataire plus profond et plus liquide.
Au niveau international, l'euro est devenu la seconde monnaie d'échange. Et, parmi les monnaies de réserve officielles les plus utilisées, l'euro occupe la seconde position, derrière le dollar américain. Certes, l'écart entre les deux monnaies est grand, mais l'expérience montre que l'importance d'une monnaie, reflétée par le poids économique du pays - ou de la zone – qui l'émet, ne se traduit dans son utilisation en tant que monnaie de réserve officielle qu'après une longue période.
En tant que monnaie d'ancrage, l'euro joue un rôle dans le régime de change de plus de cinquante pays en dehors de la zone euro. Ces pays ont soit défini un lien très étroit, voire complet pour certains d'entre eux, avec l'euro, décidant unilatéralement de lui donner cours légal (on parle d'« euroïsation »), ou ont adopté des types d'ancrage plus souples, tels que les régimes de parité et les marges de fluctuation glissantes.
Conclusion
Permettez-moi de conclure en évoquant les défis qu'il nous reste à relever. Je pense en particulier à l'élargissement de l'Union européenne et, ultérieurement, de la zone euro. Actuellement, douze pays d'Europe centrale, orientale et méridionale négocient leur adhésion à l'UE. L'intégration d'un nombre aussi important de pays au sein de l'Union européenne sera une entreprise gigantesque pour toutes les parties concernées, notamment en raison de l'écart important des situations économiques entre la plupart de ces pays et les États membres actuels. Des efforts considérables devront être fournis. Mais nous sommes convaincus que les États membres de l'Union européenne, les quinze mais également les pays appelés à les rejoindre, bénéficieront, sur le long terme, du processus d'intégration politique et économique.
Je vous remercie.
Banque centrale européenne
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