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Entretien avec Challenges

Entretien avec Christine Lagarde, Présidente de la BCE, accordé à Jean-Pierre de La Rocque

18 septembre 2020

Lors d’une intervention au Council on Foreign Relations, en décembre 2018, vous affirmiez que l'égalité hommes/femmes au travail est un «processus révolutionnaire» qui doit passer par des mesures incitatrices comme les quotas dans les entreprises ou les gouvernements. Estimez-vous que ce processus «révolutionnaire» est aujourd'hui devenu une réalité dans la majorité des grandes institutions, entreprises ou au sein des gouvernements?

Une certaine prise de conscience est là, mais nous ne sommes qu’au début du processus. Les inégalités d’accès au travail et les écarts de rémunération entre hommes et femmes demeurent une réalité. Dans les pays de l’OCDE, l’écart de rémunération est toujours de 13 %. Les femmes travaillent de plus en plus mais elles restent sous-représentées dans les postes à responsabilités, dans le privé comme dans le public. La crise du coronavirus a rendu la situation des femmes plus difficile. Les femmes composent près de 70 % des professions de santé; elles sont plus à risque sur le plan sanitaire. Avec le confinement, elles se retrouvent sur tous les fronts, obligées de travailler tout en gardant les enfants, sans parler des violences intrafamiliales. Comme dans toutes les crises économiques, elles sont plus exposées au risque de perdre leur emploi ou de voir leur salaire baisser.

Les progrès vers l’égalité hommes-femmes au travail sont tout sauf linéaires. C’est un processus au long cours, qui nécessite une vigilance de tous les instants, et de toutes les composantes de la société.

Ce processus commence-t-il à porter ses fruits? Comme le montre notre dossier, les femmes accèdent-elles, enfin, à des postes de responsabilités, le plafond de verre est-il en train de sauter? Même s'il existe encore des institutions où le retard en termes de parité est très important (je ne pense pas qu'au conseil des gouverneurs de la BCE!).

Des avancées ont été accomplies, mais il y a malheureusement un consensus de la société civile au niveau international sur le fait que, au rythme encore lent où les choses avancent, ce sont des décennies, plus que des années, qui permettront de constater des progrès notables en matière d’égalité, si rien ne change. Telle ou telle dirigeante, telle ou telle entreprise ou organisation, même si elle peut aider à faire bouger les lignes, ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Il y a encore trop peu de femmes à des postes à responsabilités dans le monde, notamment dans les domaines économique et financier, y compris dans les banques centrales. Les 19 banques centrales de la zone euro sont exclusivement dirigées par des hommes. Sur les 25 membres du conseil des gouverneurs de la BCE, Isabel Schnabel, membre du directoire, et moi sommes les deux seules femmes sur la photo de famille… Ce n’est pas normal! 

Considérez-vous que les femmes aient gagné en influence au-delà même des institutions, des entreprises ou des pays qu’elles dirigent?  

Je crois que l’on progresse dans les institutions, les entreprises ou les pays et que l’on reconnaît aux femmes une capacité à envisager les questions de manière différente des hommes. Nous avons une approche de la prise de risque différente, par exemple. Vous m’avez souvent entendu dire que, si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters, la crise financière des années 2008 aurait sans doute été différente. Et sans doute que la qualité d’un certain nombre de dirigeantes politiques ou économiques a permis de mieux gérer la crise sanitaire sans précédent que nous connaissons actuellement. Mais les femmes sont encore trop peu nombreuses à exercer des responsabilités. Il faut faire plus et dans de nombreux domaines. Pour ne donner qu’un exemple, encourager les hommes à prendre des congés paternité, et faire en sorte que ces congés soient plus longs que les quelques jours ou semaines actuellement en vigueur.

Au-delà du monde professionnel aussi, il reste du chemin à parcourir, comme les trop nombreux cas de violences conjugales et de féminicides le rappellent tristement.

Vous qui avez longtemps travaillé avec des équipes constituées d'hommes (en très grande majorité), observez-vous un changement de mentalité de ces derniers par rapport à l'accession des femmes aux plus hautes responsabilités?

Oui, les hommes acceptent sans doute plus qu’avant qu’une femme puisse accéder aux plus hautes responsabilités, et les comportements dans les entreprises commencent à changer. Pas seulement sur la question du développement professionnel, mais aussi dans le cadre des relations quotidiennes entre hommes et femmes. C’est un changement précieux, utile à la cause ; d’ailleurs, les jeunes générations sont plus vigilantes sur ces sujets. Mais le vrai changement de mentalité sera quand plus personne, homme ou femme, ne se posera la question de la légitimité d’une femme à exercer des responsabilités importantes.

Être entourée de femmes est-il plus facile, plus agréable pour vous?

Ce qui compte dans une équipe, c’est la diversité des parcours, des profils et la complémentarité des talents. Le genre fait partie de cette diversité nécessaire, mais ce n’est pas le seul critère.

N’existe-t-il pas encore, selon vous, des verrous culturels, idéologiques ou religieux, dans un certain nombre de pays, qui empêchent cette «révolution» de l'égalité hommes/femmes au travail?

Oui, il y a des verrous de tout ordre. À commencer par des verrous juridiques. Je vous invite à lire le dernier rapport de la Banque mondiale sur le sujet. En moyenne, les femmes dans le monde ont seulement trois-quarts des droits reconnus aux hommes. Les inégalités de droit persistent dans les lois, même dans certaines constitutions, dans le droit matrimonial, successoral, la signature des contrats, l’accès aux crédits. Beaucoup de progrès ont été faits ces 50 dernières années – et la France est bien placée –, mais en général, à l’échelle du monde, il reste beaucoup de chemin à parcourir! L’émancipation des femmes augmente la productivité et le développement économique. C’est prouvé et documenté. Alors, on attend quoi?

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