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  • 8 January 2020

Entretien avec Challenges

Entretien avec Christine Lagarde, Présidente de la BCE, accordé à Pierre-Henri de Menthon et Sabine Syfuss-Arnaud

Vous avez déclaré que vous n’étiez ni faucon, ni colombe, mais chouette. Pourquoi ce drôle d’oiseau ?

On lui attribue habituellement une certaine sagesse. Elle voit bien la nuit et dispose d’un champ de vision assez large. Mais ce que j’ai surtout voulu souligner, c’est ma volonté de conduire les réflexions au sein du conseil des gouverneurs de manière efficace, certes, mais aussi apaisée.

Comment voyez-vous 2020 ? Quelle menace vous semble la plus grave pour l’économie mondiale ?

Nos équipes tablent sur un taux de croissance de l’ordre de 1,1 % en 2020 pour la zone euro, légèrement plus faible qu’en 2019. Tant au niveau mondial que chez nous, la menace la plus importante est un ralentissement des échanges commerciaux, qui serait provoqué par un ensemble d’incertitudes, et qui affecterait en premier lieu le secteur manufacturier et freinerait l’investissement. Parmi ces incertitudes, outre les risques géopolitiques et ceux liés au changement climatique, on peut citer les tensions commerciales persistantes ou le Brexit.

Le Brexit va-t-il affaiblir l’Europe ?

Après les dernières élections au Royaume-Uni et le vote à la Chambre des communes en faveur de l’accord de retrait, le Brexit devrait finalement avoir lieu le 31 janvier. C’est une incertitude de moins, ce qui est positif pour les investisseurs. Mais le plus dur reste à venir : sceller un accord commercial entre Londres et l’Union européenne pendant la période de transition qui devrait durer 11 mois. Les retombées économiques et financières du Brexit dépendront des détails de cet accord, si accord il y a pendant ce court laps de temps. Ce qui est certain, c’est que l’Union européenne se prive, avec le Brexit, d’un État membre riche et puissant sur le plan militaire. L’UE s’en remettra, mais elle devra se muscler pour compenser le départ du Royaume-Uni.

Vous avez déménagé de Washington à Francfort. Comment expliquer le décalage entre la croissance américaine et celle de la zone euro, dont le moteur allemand semble s’essouffler ?

Ce décalage est notamment dû aux choix de politique économique, avec une relance budgétaire massive côté américain, qui n’a pas eu lieu en Europe. Les États-Unis ont moins de contraintes sur le plan budgétaire et ils bénéficient du privilège que leur octroie la place du dollar dans le monde. Ils ont aussi assaini leur secteur financier plus tôt après la crise. Mais l’Union européenne reste la zone économique et commerciale la plus puissante du monde ; elle a un potentiel énorme et elle a démontré sa capacité à sortir de la crise et à recréer de l’emploi, après deux récessions, notamment grâce à l’action de la BCE. Une relance budgétaire concertée à l’échelle de la zone euro serait bienvenue pour accélérer la croissance qui, à 1,1 % en 2020, et 1,4 % en 2021 (d’après nos dernières projections) reste, au moins en ce qui concerne 2020, en deçà de notre potentiel.

Ce que vous appelez le « nouveau mix européen » ?

Il est bon d’utiliser tous les moyens à notre disposition pour renforcer la croissance, ce qui a aussi pour effet de tirer un peu plus l’inflation vers les 2 %. Il y a trois composantes à ce « policy mix » : la politique monétaire, qui n’a eu de cesse d’intervenir pour maintenir la stabilité des prix ; la politique budgétaire, qui devrait-être davantage utilisée pour compléter la politique monétaire dans les pays où cela est possible ; et les réformes structurelles pour accroître le potentiel de croissance de nos économies. Une plus grande coopération des autorités compétentes, dans le respect de l’indépendance de chacun, permettrait d’optimiser les effets multiplicateurs de leurs décisions.

La politique de la BCE pousse les agents économiques à s’endetter. La dette publique française dépasse désormais les 100 % du PIB. Faut-il s’en inquiéter ?

La dette publique française augmente alors qu’elle baisse à l’échelle de la zone euro. C’est une source d’inquiétude, car cela limite les marges de manœuvre budgétaire en cas de retournement de conjoncture. La France doit s’efforcer de réduire son déficit et sa dette, tout en adoptant une politique budgétaire favorable à la croissance. D’autres pays ont réussi ce pari difficile. J’ai confiance dans la capacité du gouvernement français à agir dans ce sens, notamment par le biais des réformes structurelles.

Comme directrice générale du FMI, vous avez souvent critiqué les excédents allemands. Persistez-vous ?

Les excédents des comptes courants, surtout. Pas seulement de l’Allemagne, d’ailleurs. Des excédents aussi élevés par rapport au produit intérieur brut constituent un facteur de déséquilibre, surtout avec une monnaie unique.

À l’heure de la grande défiance populiste, comment rapprocher la BCE des citoyens ?

C’est là une de mes priorités. Cela passe par le dialogue et les explications. Dialoguer avec nos concitoyens, les rencontrer. Leur expliquer - aussi à travers vous - ce que fait la BCE et qu’elle a à cœur de le faire bien. Rappelons que l’euro est soutenu par trois quarts des citoyens.

Votre mandat est de garantir la stabilité des prix. Est-ce le problème aujourd’hui ?

Si vous posez la question, n’est-ce-pas que vous partez du principe que la stabilité des prix est maintenue ? Je le prends pour un compliment pour la BCE. Effectivement, depuis l’introduction de l’euro l’inflation annuelle moyenne a été d’environ 1,7 % dans la zone euro. Mais nous sommes aujourd’hui, avec une inflation de l’ordre de 1 % et des projections d’inflation encore faibles, toujours un peu éloignés du niveau inférieur à, mais proche de 2 % que nous souhaitons obtenir à moyen terme.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté son « Green deal ». Comment-va-t-il s’articuler avec la politique de la BCE ? Allez-vous la transformer en banque verte ?

Je salue la détermination de mon amie Ursula von der Leyen et son engagement en faveur de l’environnement. Ce combat nous honore en Europe, tous dans les responsabilités qui sont les nôtres. Je pense aussi à la Banque européenne d’investissement. Nous ne serons pas en reste dans le cadre de notre mandat de maintenir la stabilité des prix et de superviser les banques. Quelle est l’incidence des risques climatiques sur nos projections de croissance et d’inflation ? Quels signaux envoyons-nous avec nos achats d’obligations, quels sont les actifs que détiennent les banques dont nous assurons la supervision ? Les enjeux sont suffisamment importants pour qu’on s’intéresse de près à ces questions tout en poursuivant notre mission première. Pour la partie monétaire, la revue de notre stratégie constituera une occasion naturelle d’approfondir ces questions.

Avec des taux bas, voire négatifs, les épargnants ont-ils raison de s’inquiéter pour leurs économies ?

Les mesures prises visent à maintenir les prix stables. Ceci garantit dans la durée, pour tous, épargnants ou emprunteurs, le meilleur environnement économique possible et le maintien du pouvoir d’achat. Les taux d’intérêt sont des instruments, pas des objectifs en soi. L’Europe a connu des périodes pendant lesquelles les épargnants plaçaient leurs liquidités dans des SICAV monétaires qui leur rapportaient des revenus élevés, comme au début des années 1990. Mais l’environnement monétaire d’alors pénalisait les emprunteurs et, à l’époque, cette situation s’est traduite par une forte récession économique. Or, en période de récession, les épargnants ont tendance à réduire leur épargne pour essayer de maintenir leur niveau de consommation. En d'autres termes, l'épargne pâtit de la récession. Les taux négatifs visent à maintenir l'économie sur une trajectoire de croissance équilibrée et à éviter la récession.

Est-il choquant que les banques puissent faire payer les dépôts ?

Ce qui serait choquant serait qu’elles ne profitent pas plus des conditions monétaires historiques dont elles bénéficient pour financer davantage l’économie réelle. Mais les taux négatifs ont été utiles et un progrès a été accompli. Au printemps 2014, juste avant que le taux de la facilité de dépôt ne devienne négatif, le volume des prêts à l’économie réelle diminuait, avec ce que cela entraînait comme risque de ralentissement économique et de déflation. Aujourd’hui, il croît de quelque 3,5 % par an.

Précisément, outre les États, les entreprises et les ménages vivent aussi à crédit. Assiste-t-on à la création de « bulles », notamment sur l’immobilier ?

Au total, sur l’ensemble de la zone euro, non, même si les travaux du Conseil européen du risque systémique, dont j’assure la présidence, et le dernier rapport de stabilité financière de la BCE invitent à la prudence et à la conduite d’actions macroprudentielles ciblées parfois nécessaires au niveau national.

L’euro peut-il profiter des turbulences actuelles pour s’imposer davantage sur la scène mondiale ?

Je partage l’analyse de la Commission européenne. L’euro peut certes encore développer son rôle international, conformément au poids économique et financier de la zone euro. Mais, fondamentalement, ce sont les acteurs économiques qui en décident. En étant crédibles dans nos actions, en renforçant la solidité de la zone euro, en parachevant l’union bancaire et l’union des marchés de capitaux, en continuant à innover dans le domaine des paiements, nous contribuerons certainement à renforcer naturellement le rôle international de l’euro.

La BCE est-elle légitime pour créer une crypto-monnaie ?

Dans le domaine des paiements, l’innovation est galopante. Elle correspond à une demande pressante pour des paiements plus rapides et moins chers, surtout lorsqu’il s’agit des paiements transfrontière. L'Eurosystème, en général, et la BCE en particulier entendent être des acteurs sur ces questions, et pas seulement les observateurs d’un monde qui change. L'Eurosystème a lancé en 2018 une infrastructure pour permettre des paiements instantanés paneuropéens avec règlement direct en monnaie de banque centrale (TIPS, c'est-à-dire TARGET Instant Payment Settlement). Les banques peuvent ainsi traiter les paiements entre elles en quelques secondes, 24 heures sur 24, 365 jours par an, partout en Europe. Cela répond non seulement à la préférence des jeunes générations, qui désirent payer avec leurs smartphones, à toute heure du jour ou de la nuit, mais aussi des entreprises, qui souhaitent optimiser les processus de paiement et de chaîne d'approvisionnement.

En ce qui concerne les étapes futures, la BCE continuera d'évaluer les coûts et les avantages de l'émission d'une monnaie digitale de banque centrale (MDBC) qui pourrait garantir l’accès du grand public à une monnaie émise par la banque centrale, même en cas d’une moindre utilisation des espèces. Les perspectives d'initiatives des banques centrales ne devraient, cependant, ni décourager ni écarter les solutions du secteur privé pour des paiements de détail rapides et efficaces dans la zone euro. Nous étudions la faisabilité d’une monnaie digitale de banque centrale avec attention et précaution, aussi car un tel projet pourrait avoir des implications majeures pour le secteur financier et pour la transmission de la politique monétaire. À la fin de 2019, nous avons créé un groupe de travail d'experts à la BCE, qui étudiera, en étroite coopération avec les banques centrales nationales, la faisabilité d'une MDBC, à l’échelle de la zone euro, sous diverses formes, en ne laissant de côté aucun aspect pratique de la question, y compris la façon d’en minimiser les éventuels effets indésirables.

Vous avez quitté la France en 2011, vous manque-t-elle ?

Où que je sois, la France est toujours proche de mon cœur!

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