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Entretien avec La Croix

Entretien de Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE,
accordé à Marie Dancer, La Croix , 10 juin 2015

1. LA CONJONCTURE

La reprise est-elle réelle en zone euro ?

Oui, la reprise est là. La croissance repart dans la zone euro y compris et surtout dans les pays qui ont le plus souffert de la crise, à l’exception de la Grèce. Mais c’est une reprise qui doit être consolidée car elle est récente et reste fragile. D’abord elle est tirée par des facteurs temporaires : l’énergie à bon marché et le bas niveau des taux d’intérêt et du taux de change de l’euro, qui résultent de notre politique monétaire. On ne peut pas compter sur eux de manière permanente.

Le deuxième élément de fragilité, et même de préoccupation, c’est la faiblesse de l’investissement. Tant qu’il n’aura pas clairement redémarré, on ne pourra pas dire que la reprise est solide. La BCE contribue à ce redémarrage en abaissant le coût du financement à court comme à long terme (la maturité moyenne de nos achats d’actifs est de huit ans). Mais le redémarrage durable de l’investissement dépend d’autres acteurs. Il suppose un climat des affaires qui donne envie aux entreprises d’investir et un environnement réglementaire et social favorable. C’est aux gouvernements et aux partenaires sociaux de fixer les règles du jeu. Il faut aussi que les banques prêtent. Le crédit repart dans la zone euro mais essentiellement pour les grandes entreprises et pas assez pour les PME. La nouvelle réglementation bancaire est faite pour décourager la spéculation, ce n’est pas une raison de ne pas financer l’économie.

Faut-il emprunter à l’échelle européenne pour investir ?

L’investissement doit d’abord être dans le secteur privé donc la priorité doit être, encore une fois, de créer un environnement favorable. Les conditions financières sont réunies, il reste le volet réglementaire et fiscal à mettre en place. Ensuite, faut-il davantage d’investissement public pour catalyser tout cela ? Oui sans doute, mais seulement dans les pays qui ont des marges de manœuvre pour cela.

La reprise n’est qu’artificielle, nourrie par les liquidités ?

La prospérité, on la juge sur la croissance et sur la baisse du taux de chômage. Les liquidités ne sont qu’un instrument au service de cet objectif. Le chômage a commencé à baisser dans la zone euro, mais timidement. Et dans un certain nombre de pays, dont la France, il n’a pas commencé à baisser. En ce sens, oui, l’essai reste à transformer.

La France reste à la traine ?

Je suis Français, j’ai confiance dans la capacité de mon pays à créer de la croissance, car nous avons de nombreux atouts : une démographie plus dynamique que la moyenne européenne, des capacités d’innovation, une force de frappe à l’export… Donc je n’éprouve pas d’inquiétude à long terme sur la place de la France dans la zone euro et dans le monde. Mais il y a un décalage par rapport à des voisins comme l’Irlande ou l’Espagne qui ont fait plus de réformes, et plus tôt, sans compter l’Allemagne qui bénéficie de réformes plus anciennes. Or aujourd’hui, ce sont ces pays qui en tirent les bénéfices en termes de croissance.

La France mène-t-elle des réformes assez ambitieuses ?

La réforme est toujours plus difficile dans les grands pays que dans les petits mais il ne fait aucun doute pour moi que la France est sur la bonne trajectoire. Maintenant que la reprise est clairement là, il faut la rendre plus forte et plus durable. L’action de la BCE crée une fenêtre favorable pour les réformes. Il y a un risque qu’elles ralentissent en raison du calendrier électoral mais c’est au contraire le moment de les continuer.

Qu’est-ce que qui marche le moins bien en France ?

Il n’appartient pas à la BCE de distribuer les bons ou les mauvais points ni d’entrer dans le détail de réformes qui sont menées par des gouvernements élus. Beaucoup a été fait pour alléger le fardeau des entreprises à travers le pacte de responsabilité et le CICE, et il y a un effort sur la dépense publique que l’on peut discuter (la BCE souhaiterait qu’il soit plus ambitieux) mais qui est effectif. Là où la France souffre de la comparaison avec le reste de la zone euro, c’est sur le marché du travail. Elle gagnerait à aller vers un marché du travail qui soit plus inclusif pour ceux qui sont loin de l’emploi.

2. LES MARCHES financiers et les liquidités, la bulle

La surabondance des liquidités injectées sur les marchés – par la BCE notamment - ne prépare-t-elle pas une bulle, et la prochaine crise ? Les marchés ne sont-ils pas drogués à la liquidité ?

La politique d’assouplissement monétaire – taux d’intérêt au plancher, achat de titres sur les marchés - est menée par la BCE pour remettre la zone euro sur une trajectoire de croissance et à un niveau d’inflation inférieur à 2% mais proche de 2%, conforme à notre mandat. Nous savons que cette politique a des effets induits ou collatéraux.

C’est vrai, beaucoup de liquidités sont en circulation. Nous ne sommes pas préoccupés aujourd’hui par des bulles financières en zone euro. Le prix des actifs financiers n’y est pas surévalué, je pense notamment aux marchés actions. Mais nous sommes très vigilants, d’autant que les taux vont rester bas pendant longtemps.

Les économistes qui tirent la sonnette d’alarme sont donc dans le vrai ?

Ce sont des avertissements utiles. Nous avons le devoir de tirer les leçons de la crise financière, dont nous sortons à peine, et de faire en sorte que le modèle de croissance de la zone euro soit différent de celui qui a conduit à la crise – fondé sur un endettement incontrôlé, des comportements risqués voire délictueux dans certaines banques et des investissements non productifs comme dans l’immobilier espagnol ou irlandais par exemple .

Pour cela, nous avons des instruments nouveaux. Le secteur financier est beaucoup mieux encadré. Grâce à l’union bancaire d’abord, qui permet une supervision des banques indépendante des pressions politiques, stricte et harmonisée. Les banques sont aussi mieux capitalisées et nous avons à des instruments nouveaux (dits « macroprudentiels ») pour prévenir les bulles et l’instabilité financière, qu’il ne faudra pas hésiter à utiliser.

La BCE participe à la réflexion sur la régulation financière au niveau mondial, où nous défendons l’idée de surveiller le secteur non bancaire - le « shadow banking » - aussi rigoureusement que les banques.

Vous ne craignez pas un retournement brutal des marchés qui prendrait de vitesse tous ces pare-feux ?

Certes, à court terme il y a de la volatilité sur les marchés (des taux qui font le yoyo, ndlr). C’est inévitable, non pas tant à cause de l’assouplissement monétaire mené par la BCE que du fait des incertitudes dans l’économie mondiale – qui est passée par un trou d’air au premier trimestre cette année. Les marchés financiers doivent s’adapter à des politiques monétaires très différentes aux USA et dans la zone euro et à un nouvel environnement réglementaire. Cela fait beaucoup d’incertitude et crée une phase d’ajustement.

La BCE n’a pas pour objectif de contrer la volatilité à court terme, ce qui reviendrait à fournir une police d’assurance gratuite aux opérateurs de marché. En revanche, nous ne laisserions pas des fluctuations excessives des marchés financiers mettre en danger la réalisation de notre objectif, qui est de garantir la stabilité des prix à moyen terme. Notre meilleure contribution, c’est d’être clair sur les orientations futures de la politique monétaire. Ainsi, nous sommes clairs sur le fait que les achats de titres dureront jusqu’en septembre 2016 et plus si nécessaire.

La BCE a-t-telle encore des marges de manœuvre aujourd’hui ou a-t-elle épuisé tous ses outils ?

Si les taux sont à zéro et si on achète des titres, c’est pour donner un coup de fouet à l’économie européenne et faire remonter l’inflation vers 2%. C’est une stratégie temporaire visant à répondre à la situation très particulière de l’année 2014 où les chiffres d’inflation s’éloignaient durablement de notre objectif et flirtaient avec la déflation.

Si on arrêtait aujourd’hui cette politique, on précipiterait la zone euro dans un régime, qui n’est pas souhaitable, dans lequel la croissance comme l’inflation seraient durablement faibles. Certains appellent cela «le monde des 1% », à savoir 1% de croissance et 1% d’inflation. Il n’en est évidemment pas question.

Mais la politique monétaire ne peut pas tout. C’est précisément pour éviter la « stagnation séculaire » - redoutée par certains économistes - que la politique monétaire doit être complétée par une politique budgétaire responsable - qui utilise les marges de manœuvre dans les pays où il y en a mais qui évite que la dette explose dans les pays où elle est élevée- et par un environnement économique qui permet aux entreprises d’investir et de créer des emplois et aux travailleurs d’être embauchés.

Le QE de la BCE signe-t-il un retour de la guerre des monnaies ?

Il n’y a pas aujourd’hui de guerre des monnaies. La baisse de l’euro résulte d’une différence de position dans le cycle économique et, partant, d’une divergence de politique monétaire, entre la zone euro et les Etats-Unis. Nos partenaires reconnaissent que nos décisions de politique monétaire sont appropriées à la situation de la zone euro. Il ne s’agit pas d’une volonté d’influencer le taux de change, pour lequel la BCE n’a aucun objectif.

3. LA GRECE 

1/ La BCE pourrait-elle se retrouver en première ligne pour sauver la Grèce  en cas d’échec des négociations, en faisant tourner la planche à billets ? Faudra-t-il pour cela qu’elle outrepasse les traités européens ?

Nous sommes déjà en première ligne et nous jouons pleinement notre rôle de banque centrale des 19 Etats qui partagent la monnaie unique, dont la Grèce. Les liquidités fournies aux banques grecques par l’Eurosystème (BCE et Banque centrale de Grèce) sont passées de 45 milliards d’euros en décembre 2014 à 119 milliards aujourd’hui, ce qui donne une idée de l’ampleur du soutien apporté par la BCE aux entreprises et aux ménages grecs.

Notre action est cependant encadrée par des règles qui découlent de traités approuvés par les citoyens européens : d’une part nous ne pouvons prêter aux banques grecques que si elles sont solvables et si elles apportent des garanties et d’autre part nous n’avons pas le droit de prêter au gouvernement grec, pas plus qu’à n’importe quel autre gouvernement. C’est aux gouvernements de la zone euro, réunis dans l’Eurogroupe, de décider s’ils veulent prêter au gouvernement grec et sous quelles conditions, pas à la BCE.

Mario Draghi a dit en 2012 qu’il sauverait l’euro à tout prix, mais dans le cadre du mandat de la BCE. La BCE est une institution qui a des instruments puissants mais ne peut les utiliser que dans le champ étroit qui lui a été fixé par les traités, sous le contrôle du Parlement européen et de la Cour européenne de justice. Le respect de la démocratie passe par le respecte de la loi.

Ceci étant dit, je me refuse à discuter d’une sortie de la Grèce de la zone euro car ce n’est pas dans ce cadre que l’on travaille Nous finançons l’économie grecque et nous travaillons à trouver un accord avec Athènes aux côtés du FMI et de la Commission européenne, avec l’objectif de garder la Grèce dans la zone euro.

Faut-il restructurer la dette grecque ?

Cette question n’est pas un tabou, puisque la dette grecque a déjà été restructurée vis-à-vis des banques privées. Les créanciers publics ont quant à eux déjà consentis des aménagements importants en matière de durée de remboursement et de baisses de taux. Au point qu’aujourd’hui, la charge de la dette grecque comparée au revenu national est très inférieure à celle de l’Italie ou de l’Espagne.

Faut-il aller plus loin ? La réponse dépendra des termes finaux de l’accord entre les créanciers et les autorités grecques. C’est à cette aune que l’on pourra à nouveau analyser la soutenabilité de la dette. Et c’est l’argent des contribuables des Etats membres de la zone euro qui est en jeu, donc ce n’est pas à la BCE mais aux gouvernements de le décider.

La BCE pourrait-elle faire un geste de son côté ?

Les créances de la BCE sur la Grèce ne sont pas des prêts qui auraient été accordés au pays mais des obligations achetées sur les marchés de capitaux au plus fort de la crise pour améliorer la transmission de nos décisions de politique monétaire. Nous n’avons pas le droit de les restructurer car les traités nous interdisent d’accorder des facilités financières aux Etats.

On a l’impression d’un dialogue de sourds entre la Grèce et ses créanciers…

L’enjeu, c’est de trouver un point d’équilibre entre le programme d’un gouvernement nouvellement élu qui a une légitimité démocratique forte et les intérêts des autres pays de la zone euro, qui sont aussi des démocraties. Il ne s’agit pas seulement des réformes qui sont nécessaires pour la Grèce mais aussi de leur financement par les contribuables des autres pays, qui ont aussi connu la crise.

Une sortie de la zone euro par la Grèce précipiterait-elle la monnaie unique dans sa chute ?

La BCE, je le répète, souhaite que la Grèce reste dans l’euro. S i un jour un pays sortait de la zone euro, cela serait un avertissement sérieux pour l’Europe, car la question serait inévitablement posée de savoir si ce scénario peut se renouveler. Mais la réponse à cette question est connue: il existe me semble-t-il un large consensus sur les conditions qui permettent à chaque pays de bénéficier de manière pérenne des avantages de l’euro. Ces conditions sont notamment la responsabilité devant ses pairs et la solidarité envers eux. Ces valeurs communes doivent être reflétées dans les institutions nationales et européennes. D’ailleurs les pays qui se sont engagés sur ces valeurs ont surmonté la crise avec succès, c’est le cas notamment de l’Espagne ou de l’Irlande. Je n’ai donc aucune inquiétude sur la cohésion de la zone euro. Mais si un pays devait décider de se dissocier de ce consensus, cela obligerait sans doute les autres à cimenter sans équivoque leur adhésion aux valeurs que je mentionnais en accélérant le renforcement de la zone euro. Cela impliquerait une accélération d’une réflexion institutionnelle qui s’inscrit pour le moment dans un temps long.

Le FMI se montre-t-il trop exigeant ?

Le FMI a un mandat et des actionnaires différents des Européens. Il travaille pour 188 pays dont la plupart ne sont pas dans la zone euro et ont un niveau de vie plus bas que celui de la Grèce. Il a donc un souci d’égalité de traitement que je considère tout à fait légitime.

4. LES INSTITUTIONS

La zone euro est-elle plus forte aujourd’hui pour faire face à une nouvelle crise ?

Oui, j’en suis convaincu. Des réformes profondes ont été mises en œuvre depuis 2010 pour renforcer la responsabilité des Etats membres (notamment en matière budgétaire) mais aussi la solidarité entre eux (avec la création du Mécanisme européen de stabilité) tandis que l’Union bancaire renforce la surveillance des banques et dénoue leur lien financier avec les Etats.

Mais nous sommes encore au milieu du gué. Nous n’avons pas encore atteint l’autre rive, c’est dire le point où nous serions totalement rassurés sur la solidité à long terme de la zone euro. Il faut s’assurer que chaque pays mène des politiques responsables. Il faut mieux coordonner les politiques économiques et les réformes structurelles, dans l’intérêt commun, pour que chaque économie devienne plus résistante aux chocs. Il faut aussi renforcer la capacité de résistance de la zone euro prise dans son ensemble. Cela pourrait passer, par exemple, par une capacité budgétaire spécifique à la zone euro, dont l’utilisation serait soumise à un contrôle démocratique. Les présidents du Conseil européen, de la Commission, de l’Eurogroupe et de la BCE feront prochainement des propositions sur ces questions.

L’euro n’a-t-il pas échoué, face aux divergences profondes des 19 pays qui partagent cette monnaie ?

Non l’euro n’a pas échoué, il a élargi les marchés accessibles à nos entreprises, apporté une baisse des conditions de financement, et c’est un symbole qui réunit les Européens et auquel ils sont attachés.

…conditions de financement qui ont conduit à la crise ?

Ce n’est pas l’euro qui a conduit à la crise. C’est qu’on a laissé l’argent s’investir dans des activités non productives comme le marché immobilier par exemple, on a laissé certains pays présenter des comptes faux et s’endetter au-delà de toute raison. Cela doit être corrigé mais l’existence de l’euro en soi a été un accélérateur de la croissance en zone euro. Ce qu’il faut à présent, c’est continuer à identifier une par une les sources de fragilité et proposer des solutions.

Quel r ôle peut jouer la BCE face à la montée des populismes ? Beaucoup jugent aussi que cette institution n’est pas démocratique…

La meilleure manière de répondre à l’euroscepticisme est de créer de la croissance et encore une fois, nous y travaillons avec nos instruments. Que chacun en fasse de même.

La BCE est une institution européenne à laquelle on a confié un certain nombre de missions, dans un cadre démocratique. Les traités ont été validés démocratiquement, la BCE est responsable devant le parlement européen, elle est de plus en plus transparente, elle s’explique aussi désormais devant les parlements nationaux. Nous sommes aussi plus transparents sur nos décisions avec la publication des compte-rendus des réunions de politique monétaire. Un jour, j’en suis convaincu, nous publierons les votes des différents gouverneurs. Nous avons déjà fait une bonne partie du chemin, nous allons le poursuivre.

LA BCE va-t-elle sauver l’euro ?

L’euro n’est plus en danger comme il a pu l’être il y a trois ans. Mais votre question est révélatrice d’attentes de nos sociétés vis à vis des banques centrales qui demeurent excessives. D’une certaine manière, le fait que la BCE soit indépendante de la contrainte politique fait que chacun projette sur elle ses attentes déçues en matière de politique économique. Ce n’est pas raisonnable ! Si on demande trop aux banques centrales, elles deviendront dépendantes des intérêts particuliers et perdront leur efficacité autant que leur légitimité.

Mais cette évolution du rôle des banques centrales  n’est-elle pas irréversible?

La meilleure réponse, c’est de montrer que l’on peut consolider la croissance sans se reposer sur la politique monétaire. C’est le grand enjeu des prochains mois et des prochaines années. Pour remplir leur mission dans un environnement économique hors du commun, les banquiers centraux ont dû prendre des décisions non moins extraordinaires qui les ont propulsés sur le devant de la scène. Sitôt la stabilité revenue, je ne doute pas qu’ils retourneront à leur charrue, comme le Cincinnatus de la Rome antique.

Vous êtes candidat au poste de gouverneur de la banque de France… ?

C’est une décision qui n’appartient qu’au Président de la République. La Banque de France est le deuxième actionnaire de la BCE. C’est une magnifique institution qui doit continuer à faire entendre sa voix dans la zone euro et dans les débats financiers mondiaux.

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