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Entretien avec Le Point

17 mars 2010

Entretien avec Jean-Claude Trichet, Président de la BCE conduit par Romain Gubert et Patrick Bonazza (Le Point),
15 mars 2010

Le Point : Les pays de la zone euro viennent de se mettre d’accord pour aider la Grèce et la sauver des attaques des spéculateurs. N’est-ce pas donner une prime au mauvais élève ? N’est-ce pas une trahison des principes du Traité de Maastricht ?

Jean-Claude Trichet : Les pays de la zone euro viennent de réaffirmer l’engagement pris par les chefs d’Etat et de gouvernement d’agir de manière déterminée et coordonnée pour sauvegarder la stabilité de la zone euro si nécessaire. Et ce que je retiens de la crise grecque, c’est d’abord une chose fondamentale : personne ne remet plus en cause les principes du pacte de stabilité et de croissance. Bien au contraire, ceux-ci sont aujourd’hui réaffirmés avec force. Le gouvernement grec vient de prendre une série de mesures très importantes, nécessaires, convaincantes et courageuses. Avec ce but clairement énoncé : pouvoir à nouveau, dans un délai raisonnable, respecter les grands principes du pacte de stabilité. C’est important : il faut vous souvenir que dans les années 2003 et 2004, dans une période moins tourmentée qu’aujourd’hui, le pacte était très attaqué. Et notamment par le Président de la République Française d’alors et le précédent Chancelier allemand. La BCE avait dû alors le défendre avec beaucoup d’énergie pour empêcher qu’on le vide de sa substance. Désormais, personne ne le remet en cause : ceux qui le critiquaient avec véhémence se rendent compte combien le respect du pacte est indispensable. A la fois pour la cohésion de la zone euro dans son ensemble, mais aussi pour préserver et renforcer la confiance de ménages, des entreprises et des investisseurs, et ainsi favoriser la croissance et la création d’emplois.

Le Point : Vous êtes optimiste : les Grecs manifestent leur mécontentement. Ils ne semblent pas vraiment prêts à se serrer la ceinture…

Jean-Claude Trichet : Les enquêtes d’opinion, y compris les plus récentes, montrent que la population grecque comprend parfaitement la nécessité de redresser ses comptes publics et de prendre des mesures indispensables pour retrouver la croissance et créer des emplois. Comme tous les Européens qui disposent de la monnaie unique, dès qu’elle a adhéré à la zone euro, l’économie grecque a pu bénéficier d’une série d’avantages considérables sur le plan monétaire. Cette adhésion a rendu l’économie plus forte. Grâce à l’euro, elle n’a plus connu le risque de change, elle a eu accès à une économie intégrée de 330 millions d’Européens, elle a bénéficié d’une monnaie qui inspire confiance et qui a donc donné à la Grèce de bas taux d’intérêt de marché à moyen et long terme. Le financement de déficit extérieur a été assuré par la seule appartenance à la zone euro. Naturellement, en échange de ces avantages considérables, il faut respecter une conditionnalité indispensable qui est celle du pacte de stabilité et de croissance.

Le Point : Mais tout de même, on vient de se rendre compte que la Grèce a triché. Elle a camouflé des secrets inavouables sur sa situation financière à ses partenaires. Comment éviter que cela ne se reproduise ?

Jean-Claude Trichet : C’est une situation absolument inacceptable. Cela constitue un problème majeur car tous les pays de la zone euro souffrent de cette faute. La crédibilité des informations budgétaires communiquées par les pays membres de l’euro doit être absolument irréprochable pour la bonne gouvernance de notre monnaie. Nous soutenons rigoureusement la Commission européenne : Eurostat, l’organisme européen de collecte des statistiques, doit disposer de pouvoirs très élargis. Il doit pouvoir contrôler les informations transmises par la Grèce sur place et sur pièces avec tous les pouvoirs d’investigation nécessaires. Une telle situation ne doit se reproduire ni en Grèce ni dans aucun autre pays.

Le Point : Il y a deux scénarios dans les semaines qui viennent. Le premier est rose : la Grèce est sauvée. Dans le second, l’Espagne est le prochain maillon faible…

Jean-Claude Trichet : A ce stade, je n’ai aucune raison de douter de la solidité d’autres pays de la zone euro dès lors qu’ils appliquent rigoureusement leurs programmes de stabilité respectifs. Chacun est déterminé à assainir la situation de ses comptes publics. Je tiens à souligner que la situation consolidée de la zone euro dans son ensemble en matière budgétaire n’est pas la pire au sein des pays industrialisés. Prenons le déficit public consolidé de la zone euro : il représente 7% du PIB. Ceci se compare à plus de 10% aux Etats-Unis et au Japon. Nous avons tous, sans exception, des problèmes très sérieux.

Le Point : Beaucoup vous reprochent, malgré la crise, de ne pas avoir accepté d’être plus souple. En somme, de ne pas avoir autorisé les Etats de l’eurozone à s’endetter davantage pour doper leurs économies. Faux procès ?

Jean-Claude Trichet : Franchement je ne vois pas très bien qui souhaiterait vraiment que nos situations budgétaires soient encore pires qu’aujourd’hui ! C’est une lourde responsabilité que de léguer à ses enfants et à ses petits-enfants la charge de rembourser nos propres dépenses d’aujourd’hui. Je crois que dans la crise la plus grave depuis la deuxième guerre mondiale les Banques centrales, et la BCE en particulier, ont réagi de manière lucide, rapide et audacieuse. Les gouvernements, en Europe et dans le monde, ont pris les décisions qui s’imposaient en temps réel. A mon avis ils ont bien fait leur travail. Alourdir plus encore les budgets n’eut pas été raisonnable.

Le Point : On vous reproche en revanche d’avoir ouvert le robinet des liquidité en faveur des banques. Et d’avoir encouragé à la création de bulles spéculatives…

Jean Claude Trichet : Ce n’est pas le cas. Nous avons pris un ensemble de mesures audacieuses, dites « non conventionnelles », dès l’été 2007 pour permettre aux banques européennes de disposer des liquidités nécessaires. C’était indispensable pour permettre aux banques de continuer à financer l’économie réelle en dépit de la crise. Ceci dit, aujourd’hui, les marchés se rétablissent progressivement et nous accompagnons ce retour graduel à la normalité en supprimant progressivement les mesures exceptionnelles de refinancement des banques.

Le Point : L’endettement des Etats est tel que le retour de l’inflation serait le seul moyen pour que ceux-ci remboursent leurs dettes ?

Jean-Claude Trichet : Dans cette crise, depuis l’été 2007, à la Banque Centrale Européenne et dans toutes les Banques centrales de la zone euro, dont la Banque de France, nous avons toujours agi pour le retour de la confiance. Croyez-vous réellement qu’en suggérant qu’on laisserait filer l’inflation, nous aurions rétabli cette confiance ? La confiance des ménages ? La confiance des entreprises et des investisseurs ? Si aujourd’hui, je vous disais – c’est une hypothèse évidemment absurde – que je ne suis pas contre une inflation autour de 4%, vous verriez, en temps réel, l’ensemble des participants du marché augmenter nos taux d’intérêt de marché de manière considérable pour tenir compte de l’inflation future. Qui plus est, s’y rajouterait une importante prime de risque pour tenir compte de nouveaux changements possibles. Les ménages perdraient confiance. Les entreprises auraient des financements plus coûteux. Et les Etats verraient le coût de refinancement du stock de leur dette augmenter massivement. L’inflation, qui est au demeurant rejetée par nos concitoyens, n’est absolument pas la solution !

Le Point : Depuis le début de la crise, les politiques affirment qu’ils vont remettre à plat le système financier. Mais ils ne se sont attaqués qu’aux paradis fiscaux et aux bonus des traders. Un peu court, non ?

Jean-Claude Trichet : Nous avons un consensus mondial au sein des pays industrialisés comme des économies émergentes pour considérer, premièrement, que l’économie de marché reste le bon moyen de créer les richesses, deuxièmement que le système mondiale doit être beaucoup moins fragile, beaucoup plus solide et « resilient » et troisièmement que la bonne méthodologie consiste à travailler tous ensemble dans le cadre du G20, du Conseil de Stabilité Financière et du Comité de Bâle en particulier. Nous avons une obligation de résultats. Nos démocraties ne nous pardonneraient pas d’avoir à l’avenir à nouveau une crise aussi grave que celle que nous avons connue en 2008 et 2009. Il ne s’agit pas d’identifier des boucs émissaires. Il s’agit de corriger toutes les fragilités du système financier mondial de manière systématique et méthodique. Ceux qui disent qu’une fois l’orage passé le « business as usual » doit régner à nouveau se trompent lourdement. Ce n’est pas comme cela que nous obtiendrons la croissance et les emplois qui sont si nécessaires.

Le Point : Seriez-vous par exemple en faveur de la création d’une agence de notation européenne ?

Jean Claude Trichet : Il est vrai que les agences de notation ont une influence considérable. Un oligopole mondial de trois agences seulement n’est pas une situation idéale. Ceci dit, il faut toujours éviter les créations artificielles. C’est un dossier que nous suivons attentivement.

Le Point : Et la création d’un FME, fonds monétaire européen ?

Jean Claude Trichet : Je n’ai pas, à ce stade, de position du Conseil des Gouverneurs de la BCE. Je dirais simplement que, si je comprends bien, il s’agit d’un financement possible, très conditionnel, et sans comporter aucune subvention, visant à prévenir des phénomènes de déstabilisation financière dans un pays de la zone euro. Il ne s’agit pas d’une entité monétaire. L’adjectif ne me parait donc pas approprié. Mais je crois qu’il faudrait encadrer sévèrement les actions d’un tel fonds et cantonner son action à une menace grave et précise.

Le Point : Peut-on imaginer qu’un pays qui ne soit plus en mesure de faire face à ses obligations quitte la zone euro ?

Jean Claude Trichet : J’ai toujours dit que je ne commente pas les hypothèses absurdes. Entrer dans la zone euro est une décision capitale. Ce n’est pas une adhésion à la carte. Il s’agit de partager un destin en commun avec d’autres nations. Tous les pays membres actuellement sont entrés dans la zone euro non seulement sur la base des critères de Maastricht conformément au Traité, mais aussi sur la base d’un large consensus des grandes sensibilités politiques de chaque pays. Ceci me parait essentiel, précisément parce qu’il s’agit de partager un destin en commun.

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