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Entretien avec Europe 1

Entretien de Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, accordé à Patrick Cohen, diffusé le 15 juin 2018

Depuis trois ans, la BCE procède à des achats massifs de dettes publiques et privées ; près de 2500 milliards d'euros ont ainsi été injectés dans l'économie de la zone euro, et hier, la BCE a annoncé que tout ça allait s'arrêter à la fin de l'année. Ça veut dire que la crise est finie ?

En effet, nous prévoyons d'arrêter à partir de décembre. Pourquoi? Parce que la croissance est forte en Europe, elle a ralenti, un peu, en début d'année mais on pense qu'elle est solide et qu'elle va se redresser et se poursuivre ; et parce que l'inflation est en train de revenir vers 2 %, ce qui est, finalement, l'objectif de tout ce que l’on fait.

Mais c'était une politique qui marche ; et vous l'arrêtez?

On l'arrête parce qu’elle a marché, justement.

On va arrêter les achats d'actifs. 2500 milliards d'euros, ce n'est pas rien, et cela a été très efficace. En revanche, on va garder les taux d'intérêt directeurs très bas, au niveau actuel, c'est-à-dire près de zéro, au moins jusqu'à l'été, même la fin de l'été, 2019. Donc on garde quand même une politique monétaire qui va soutenir l'économie pendant encore très longtemps.

Des taux d'intérêt que vous n'avez pas bougés, relevés, depuis 2011, et qui restent très bas. Donc cela ne remontera pas avant, au plus tôt, l'été 2019 ?

Il peut se passer autre chose…mais on s'attend à ne pas les remonter avant l'été 2019, oui, parce que l'économie a encore besoin d'être soutenue.

Mais si la croissance remonte, les taux d'intérêt, pour les particuliers, les entreprises, pourrons augmenter ?

Les taux d'intérêt à long terme pour les particuliers, les entreprises, remontent naturellement parce qu'il y a de la croissance mondiale, et parce que les taux d'intérêt américains remontent. Donc, il faut s'y préparer oui. Les taux d'emprunt des Etats aussi, inévitablement, vont remonter, et il faut s'y préparer.

Inévitablement, il faut s'y préparer dites-vous, donc y compris pour nos crédits à nous, nos crédits immobiliers par exemple ?

Oui, mais comme je l'ai dit, pas tout de suite; et les taux à court terme vont rester très bas, proches de zéro au moins jusqu'à la mi-2019, donc pendant très longtemps.

Hier, la Banque de France a révisé à la baisse sa prévision de croissance pour 2018, 1,8% au lieu d'1,9%. Croissance robuste tout de même, dit la Banque de France. C'est votre analyse aussi, Benoît Cœuré ?

Oui, c'est notre analyse. On en a parlé hier à Riga où nous étions réunis, avec le gouverneur de la Banque de France. Nous avons tous la même analyse : il y a un petit «trou d'air» au premier trimestre 2018, parce que la croissance avait été très forte, en fin d'année 2017. Notamment les exportations, le commerce mondial a été très, très dynamique en 2017. Maintenant cela se tasse, cela se stabilise. Il y a des facteurs d'incertitude mondiale, évidemment, il y a des risques de guerre commerciale ; mais il y a aussi une économie américaine qui reste très forte, qui est soutenue par le stimulus budgétaire, et une dynamique interne à la zone euro qui est aussi très robuste. Donc, nous ne sommes pas fondamentalement inquiets.

Le risque de guerre commerciale justement, les tarifs douaniers relevés sur décision du président américain : quel impact cela pourrait-il avoir ?

Cela n’est pas inclut dans notre projection économique, parce qu'on ne sait pas encore exactement comment tout cela va évoluer. Pour l'instant, c'est assez limité parce que cela touche principalement l'acier et l'aluminium. Évidemment, si cela dégénérait en guerre commerciale, cela pourrait avoir un impact beaucoup plus préoccupant. Surtout, il y a un impact de long terme : un fonctionnement de l'économie mondiale qui est à revoir ; une Europe qui se retrouve un peu seule dans le jeu mondial. Nous sommes plus préoccupés par les conséquences historiques, de long terme, que par l'aspect conjoncturel.

Mais on a entendu deux types d'analyses, la première disait : finalement ça porte sur des volumes assez faibles dans les échanges transatlantiques entre l'Europe et les États-Unis. la deuxième analyse c'est : la confiance est rompue, d'une certaine façon, cet espace de libre échange qui a permis de faire grandir le commerce pendant des années va s'interrompre ou s'arrêter, et, en tout cas, risque d'être abîmé par les décisions américaines : qu'en pensez-vous ?

Que la confiance soit rompue, c'est un fait, malheureusement. Pas avec les États-Unis en tant que pays, mais avec cette administration-là. Ce que j'en tire comme conclusion comme responsable européen, c'est que l'Europe ne peut plus compter que sur ses propres forces ; il faut que l'Europe s'organise, se renforce, déploie sa puissance économique et stratégique. Il y a une attente d'ailleurs : le monde a les yeux rivés sur l'Europe. Sur le changement climatique, par exemple, seule l'Europe peut mener à bien ce qui avait été décidé par l’Accord de Paris.

Et Donald Trump lui-même : c'est un facteur de développement économique ? De croissance ? Il se vente en permanence de la bonne santé de l'économie américaine...

À court terme, oui, puisqu'il va baisser les impôts sur les entreprises aux États-Unis, cela va faire de la croissance aux États-Unis. A long terme, c'est une autre affaire.

A propos de risques, Benoît Cœuré, j'imagine que vous avez regardé de près le programme économique du nouveau gouvernement italien qui devrait conduire mécaniquement à une augmentation du déficit et de la dette. Vous en dites quoi, à Francfort ?

La première chose que je veux dire, c'est que nous respectons la démocratie. Donc on ne donne pas des leçons de morale à des gouvernements nouvellement élus.

Vous ne dites pas "les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter" comme ça a pu être dit par un commissaire européen ?

Par exemple. Nous allons voir ce que le gouvernement italien propose. Sur le fond, finalement, quand vous regardez la situation de l'économie italienne, les défis auxquels fait face l'Italie sont assez simples. C'est une dette publique qui est très élevée...

2400 milliards d'euros…

Voilà. Et c'est une productivité, une croissance de la productivité, donc une croissance potentielle, structurelle, qui est très faible par rapport aux autres grands pays européens. Ce sont deux défis qui n'ont rien à voir avec l'euro, ni même avec l'Europe. Nous allons voir ce que le gouvernement italien propose comme solution. Il est conscient de ces défis ; cela a été dit par le nouveau ministre des finances, M. Tria, avant-hier.

Mais s'il y a un déficit qui dépasse les 5 % du PIB ou qui atteint 7 % comme certaines projections peuvent le dire, que direz vous ? Vous interviendrez ? Ce n’est pas vous forcément, mais c'est de l'instabilité...

Les règles budgétaires, c'est à la Commission et aux Etats de les faire respecter. Il est vrai qu’à Francfort, nous considérons que ces règles sont importantes, parce que l'euro c'est une communauté où on vit ensemble. C'est comme une copropriété, on commence par respecter les règles.

Mario Draghi, le président de la BCE, a éprouvé le besoin de rappeler, hier, que l'euro était «irréversible», en parlant d'Italie. Pourquoi a-t-il dit cela ? Pourquoi a-t-il rappelé cela ?

Parce qu'il était interrogé là-dessus, c'était une conférence de presse donc il répondait aux questions. Mais c'est vrai, nous considérons que cela n'a pas tellement de sens de disserter sur l'avenir de l'euro ou sur l'avenir de tel ou tel pays dans l'euro. L'euro, c'est un projet politique, et chaque fois que les chefs d'Etat européens ont été face à la question de savoir si un pays devait rester dans l'euro, ils ont toujours répondu qu'il fallait garder l'euro, tel qu'il est. Et les peuples européens sont pour l'euro. Plus de 70% des Européens sont en faveur de l'euro.

Benoît Cœuré vous êtes français, Mario Draghi doit quitter son poste à l'automne prochain, vous êtes candidat à sa succession ?

C'est une question qui n'est absolument pas d'actualité.

Est-ce que le poste vous intéresse ?

C'est pour octobre 2019, et ça sera décidé a priori au conseil européen de juin 2019.

Est-ce que le poste vous intéresse ?

Cela n'est pas du tout au centre de mes préoccupations aujourd'hui.

Donc, il ne vous intéresse pas ?

J'ai un métier à plein temps. Cela n'est pas le genre de question que je me pose, sachant que cela arrivera en octobre 2019.

Si on devait vous le proposer, vous l'accepteriez ?

Reparlons-en dans six mois ou dans un an.

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