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Entretien avec Alternatives Economiques

28 avril 2015

Entretien de Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, accordé à Sandra Moatti, et publié dans le numéro de mai 2015 du magazine

Les effets du programme d’achat d’actifs (QE) sont très controversés. Qu’en attendez-vous alors que les taux à long terme sont déjà extrêmement faibles?

Dans la zone euro, le canal de transmission qui est pour moi presque le plus important est celui de la confiance. C’est la confiance dans le fait que la BCE prend au sérieux son mandat, qui est de ramener l’inflation à un niveau inférieur à 2% mais proche de 2%. Avant cette mesure, il y avait des doutes sur la volonté de la BCE de respecter son mandat. Or c’était la seule mesure substantielle possible dans une situation où nous étions arrivés au bout des mesures conventionnelles, puisque la marge de baisse des taux d'intérêt directeurs était épuisée.

Le deuxième canal est celui de la baisse des coûts de financement qui n’est pas négligeable pour les entreprises et les ménages. Les politiques de lutte contre la fragmentation dans la zone euro ont porté leurs fruits : à présent, quand les taux d’intérêt des emprunts d'Etat baissent, cela a un impact sensible sur les taux de financement des entreprises partout dans la zone euro, ce qui n’était pas le cas il y a encore deux ans. C’est essentiel pour la reprise de l’investissement. Certes les taux sont déjà bas, mais depuis l’annonce du QE et sa mise en œuvre début mars, on assiste à une baisse substantielle des taux d’intérêt à long ou à très long terme dans tous les pays, y compris en Allemagne et en France, et plus encore en Espagne, en Italie et dans les pays les plus touchés par la crise comme l'Irlande et le Portugal.

Le troisième canal passe par le rééquilibrage des portefeuilles, qu'il est encore trop tôt pour analyser. Les investisseurs bancaires et non bancaires qui nous vendent des titres ont une incitation très forte à investir ailleurs plutôt que de laisser leur argent dormir, sachant que le coût d'un dépôt à la BCE est de -0,20% par an. La reprise désormais nette de l’économie réelle devrait les conduire à plus prêter à l’économie. De ce point de vue, le moment est propice : l’impact du QE se matérialise au moment où la reprise se confirme, et il va la renforcer. C’est un mécanisme potentiellement puissant.

Enfin, il y a évidemment le canal du taux de change qui n’est pas un objectif en soi mais traduit les anticipations des intervenants de marché quant aux politiques monétaires différentes suivies de part et d'autre de l'Atlantique. Si on ajoute le prix du pétrole, nous avons donc une conjonction de facteurs favorables à la reprise et à l’investissement. Il n’y a donc dans l’état actuel des choses pas de raison de s’inquiéter pour la reprise de la zone euro en 2015 et 2016. Mais attention: tous ces facteurs sont de court terme. Si on peut avoir des inquiétudes c’est plutôt sur la capacité de redresser le potentiel de croissance de la zone euro, qui a fortement souffert de la crise. C'est donc plutôt sur le long terme.

Ne craignez-vous pas qu’un des effets du QE soit de gonfler des bulles sur le prix de certains actifs ? La BCE a-t-elle les moyens de lutter contre ces effets pervers ?

Nos mesures ne sont pas sans effet sur le prix des actifs : il suffit d'observer la hausse des cours boursiers depuis que les achats de titres d'Etat ont commencé. Nous suivons de près les risques pesant sur la stabilité financière, dont Tommaso Padoa-Schioppa disait qu'elle était dans "l'ADN" des banques centrales. Mais n'oublions pas que l'objectif de la politique monétaire est la stabilité des prix. La stabilité financière relève d'autres instruments. En ce qui nous concerne, il s'agit du contrôle des banques et des instruments dits "macroprudentiels".

Il y un effet que vous n’avez pas cité : cette politique fait baisser les charges d’intérêt des Etats et potentiellement leur redonne des marges de manœuvre budgétaires.

Ce n’est pas notre objectif. La politique monétaire sert à garantir la stabilité des prix et soutenir l’économie productive. Pour les Etats qui ont des marges de manœuvre budgétaire, la baisse des taux accroit ces marges qui peuvent être utilisées pour soutenir la croissance, notamment l’investissement. Mais pour les pays qui n’ont pas ces marges de manœuvre, comme la France, mon conseil serait d’utiliser la baisse des taux pour crédibiliser le désendettement plutôt que pour engager des dépenses supplémentaires ou des baisses d’impôt. Cela dit, ce n’est pas à la BCE d'en décider. C'est la Commission européenne qui est la gardienne du cadre de politique budgétaire dans la zone euro.

Diriez-vous que le QE contribue à immuniser la zone euro contre le risque de sortie d’un Etat-membre, même si ce n’est pas son objectif ?

Je ne présenterais pas les choses comme ça. Il réduit certainement le risque de contagion dans la zone euro, mais aujourd’hui le contexte est très différent de celui de 2012. Le problème pour des pays comme le Portugal, l’Espagne, l’Irlande, ce n’est plus du tout la sortie de la zone euro, mais de capitaliser sur le retour de la croissance pour accélérer la baisse du chômage et revenir à la normalité le plus vite possible. Je mets de côté la Grèce qui est un cas très spécifique compte tenu des discussions qui ont lieu en ce moment.

Je pensais à la Grèce justement…

La sortie de la Grèce n’est pas un scénario sur lequel nous travaillons. Tous les efforts qui sont faits en ce moment visent à mettre à jour la relation avec la Grèce compte tenu des nouvelles priorités de son gouvernement, dans un cadre qui reste celui de la zone euro et qui implique des droits mais aussi le devoir de respecter les règles communes. Donc nous ne nous posons pas la question en ces termes-là.

Vous évoquiez votre inquiétude quant à la croissance à long terme. La BCE ne pourrait-elle pas faire plus pour relancer l’investissement en Europe, notamment par une politique plus ciblée ?

Ce n’est pas à la BCE de donner un coup de pouce à des investissements qui s’inscriraient dans le cadre de telle ou telle politique. Ce serait franchir la frontière entre la politique monétaire et la politique économique Mais tout ce que nous faisons en ce moment participe d’une logique de reprise de l’investissement. Par rapport aux politiques traditionnelles des banques centrales qui sont orientées sur le court terme, le QE marque un allongement de l’horizon d’intervention de la politique monétaire. Par exemple, la maturité moyenne des titres achetés dans le cadre du QE est proche de 9 ans. Celle-ci a donc plus qu’auparavant un impact sur les conditions de financement de l’investissement à long terme. C’est déterminant notamment pour financer les investissements liés à la transition énergétique. Bref, nous créons des conditions favorables à l’investissement de long terme et c’est ensuite aux gouvernements et aux institutions européennes de mettre à profit ces conditions.

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