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Document 52018AB0033

Avis de la Banque centrale européenne du 18 juillet 2018 sur une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable à l’opposabilité des cessions de créances (CON/2018/33)

OJ C 303, 29.8.2018, p. 2–5 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, HR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

29.8.2018   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 303/2


AVIS DE LA BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE

du 18 juillet 2018

sur une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable à l’opposabilité des cessions de créances

(CON/2018/33)

(2018/C 303/02)

Introduction et fondement juridique

Le 12 mars 2018, la Commission européenne a adopté une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable à l’opposabilité des cessions de créances (ci-après la «proposition de règlement») (1). La Banque centrale européenne (BCE) estime que la proposition de règlement relève de son domaine de compétence et a dès lors décidé, comme prévu à l’article 127, paragraphe 4, deuxième phrase, et à l’article 282, paragraphe 5, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après le «traité»), d’exercer son droit de soumettre son avis.

La BCE a compétence pour émettre un avis en vertu de l’article 127, paragraphe 4, et de l’article 282, paragraphe 5, du traité, étant donné que la proposition de règlement contient des dispositions ayant une incidence sur a) la mission fondamentale du Système européen de banques centrales (SEBC) consistant à mettre en œuvre la politique monétaire de l’Union en vertu de l’article 127, paragraphe 2, du traité, dans la mesure où la proposition de règlement a une incidence sur les intérêts des banques centrales du SEBC eu égard à la constitution de garanties dans le cadre des opérations de crédit de l’Eurosystème; et b) la contribution du SEBC à la bonne conduite des politiques menées par les autorités compétentes en matière de stabilité du système financier en vertu de l’article 127, paragraphe 5. Conformément à l’article 17.5, première phrase, du règlement intérieur de la Banque centrale européenne, le présent avis a été adopté par le conseil des gouverneurs.

1.   Observations générales

1.1.

La cession de créances constitue l’un des moyens permettant aux acteurs des marchés financiers d’obtenir des liquidités et/ou d’accéder au crédit nécessaire à l’exercice de leurs activités professionnelles. Actuellement, les effets patrimoniaux de la cession de créances sont régis par les législations nationales qui varient d’un État membre à l’autre. S’agissant notamment des créances consistant en des prêts bancaires, bien que certains aspects significatifs aient été harmonisés par la directive 2002/47/EC du Parlement européen et du Conseil (2), la validité de la cession de ces créances ainsi que la constitution de garanties sur celles-ci restent soumises au droit national (3). Sans harmonisation, les acteurs économiques de l’Union européenne ne peuvent pas savoir quelles conditions s’appliquent à une cession de créance pour qu’elle soit valide ou à une opération de garantie sur une créance dans le cadre d’une opération transfrontalière (4). Par ailleurs, bien que quelques mesures d’harmonisation aient abouti dans le cadre de l’article 14 du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil (5), les dispositions de ce règlement ne désignent pas la loi applicable à l’ensemble des effets in rem de la cession de créances (6). L’incertitude quant à la loi applicable à une cession de créances transfrontalière crée des risques tant juridiques que financiers pour les acteurs des marchés financiers, dont l’atténuation comporte des coûts de transaction financière supplémentaires ainsi que des complications eu égard à la réalisation des créances en cas d’insolvabilité du cédant. L’incertitude quant à la question de savoir quel droit des biens s’applique au transfert transfrontalier de créances peut décourager les cessions, en privant les acteurs des marchés financiers de l’accès au crédit dans le cadre de leur recherche de débouchés commerciaux.

1.2.

La BCE prend acte de la proposition de règlement visant à déterminer la loi régissant l’opposabilité des cessions de créances et à traiter la question du rang de la créance faisant l’objet de la cession par rapport aux créances de tiers sur l’objet de la cession. En complétant l’article 14 du règlement (CE) no 593/2008, lequel n’aborde pas ces points spécifiques, la proposition de règlement vise à établir des règles permettant de déterminer la loi applicable aux questions susmentionnées. Il contribue par là-même également à créer des conditions propices aux investissements transfrontaliers, conformément à l’un des objectifs poursuivis par l’Union européenne dans le cadre de l’union des marchés des capitaux, ainsi que l’Eurosystème l’a déjà indiqué (7).

2.   Remarques particulières

2.1.

Selon la règle générale de la proposition de règlement, l’opposabilité des cessions de créances doit être régie par la loi du pays de la «résidence habituelle» du cédant. La BCE constate que l’article 14 du règlement (CE) no 593/2008, renvoie, pour certains aspects, à la loi du contrat de cession, et pour d’autres aspects, à la loi de la créance faisant l’objet de la cession. La règle générale figurant dans la proposition de règlement renvoie à une troisième loi, celle de la résidence habituelle du cédant. Bien qu’elle soit juridiquement concevable, la règle proposée présente des inconvénients, notamment lorsque les créances privées sont utilisées comme garanties financières au sens de l’article 1er, paragraphe 4, point a), de la directive 2002/47/CE. En effet, la référence au droit d’un troisième système juridique alourdit la charge afférente à l’exercice d’une diligence appropriée reposant sur les preneurs de garantie, lorsque les créances privées, c’est-à-dire les prêts bancaires, sont mobilisés à titre de garantie sur une base transfrontalière.

2.2.

L’exposé des motifs de la proposition de règlement précise que 22 % des opérations de refinancement de l’Eurosystème sont garanties par des créances privées, équivalant à quelque 380 000 000 000 EUR à la fin du deuxième trimestre de 2017, dont environ 100 000 000 000 EUR représentaient des créances privées mobilisées sur une base transfrontière (8). Étant donné que la proposition de règlement affecte les intérêts des banques centrales en tant que preneurs de garantie, c’est-à-dire en tant que cessionnaires de créances, la BCE invite le Conseil à envisager l’introduction, à l’article 4, paragraphe 2, de la proposition de règlement (qui vise à créer un régime spécial dans le domaine de la finance en prévoyant l’application de loi de la créance dans certaines situations), d’une amélioration de sorte que la loi applicable à la créance régisse également l’opposabilité des cessions de créances privées, c’est-à-dire de prêts bancaires.

2.3.

La BCE fait référence à l’acquis en matière de conflit de lois dans le cadre de l’article 9 de la directive 2002/47/CE, selon laquelle la loi d’un seul pays s’applique aux instruments financiers transmissibles par inscription en compte en cas d’opérations transfrontalières, à savoir la loi du compte sur lequel les instruments financiers sont détenus par l’intermédiaire d’un conservateur. Cette règle visant à faciliter les opérations transfrontalières de garantie financière sur des titres reflète l’acquis dans le cadre de l’article 9, paragraphe 2, de la directive 98/26/CE du Parlement européen et du Conseil (9), dont l’article 9, paragraphe 2, prévoit également qu’une seule loi - la loi du compte concerné - est applicable. La BCE souhaite rappeler à cet égard que lorsque la directive 2009/44/CE du Parlement européen et du Conseil (10) a été adoptée, afin d’inclure, entre autres, les créances privées (c’est-à-dire les prêts bancaires) dans le champ d’application de la directive 2002/47/CE, l’article 9 de cette directive n’a pas été modifié, étant donné que les négociations sur le contenu de l’article 14 du règlement (CE) no 593/2008 étaient toujours en cours. Compte tenu de l’acquis et notamment de l’article 9 de la directive 2002/47/CE et de l’article 9, paragraphe 2 de la directive 98/26/CE, il serait très souhaitable de déterminer une seule loi applicable aux créances privées comme le législateur de l’Union l’a fait pour les instruments financiers transmissibles par inscription en compte. Vu l’article 14, paragraphe 1, du règlement (CE) no 593/2008 et l’article 4, paragraphe 2, de la proposition de règlement, la manière la plus efficace de réduire le nombre de lois applicables aux créances privées serait de renvoyer également à la loi de la créance cédée dans le cas de prêts bancaires. Cela permettrait d’atteindre le même degré de sécurité juridique et de simplicité pour les prêts bancaires mobilisés à titre de garantie que dans le cas des opérations de garantie financière sur des titres.

2.4.

L’exposé des motifs de la proposition de règlement précise que les règles de conflit de lois prévues par la proposition de règlement, d’une part, et les règles de conflit de lois prévues par la directive 2002/47/CE, la directive 98/26/CE et la directive 2001/24/CE du Parlement européen et du Conseil (11), d’autre part, ne se chevauchent pas, étant donné que les premières s’appliquent aux créances tandis que les secondes s’appliquent aux instruments financiers transmissibles par inscription et aux instruments dont l’existence ou le transfert suppose l’inscription dans un registre, dans un compte ou auprès d’un système de dépôt centralisé (12). La BCE saisit néanmoins cette occasion pour revenir sur une question relative à la directive 2002/47/CE qui revêt une importance majeure pour l’Eurosystème en ce qui concerne l’acceptation des créances privées en tant que garanties pour les opérations de crédit de l’Eurosystème. La BCE rappelle que la directive 2002/47/CE a été modifiée par la directive 2009/44/CE dans le but précis de faciliter l’utilisation par les banques centrales des créances privées en garantie. La BCE a émis un avis sur ces modifications (13) dans lequel elle aborde la question des «règles applicables aux créances privées dans les différents systèmes juridiques de l’Union européenne [qui] ne sont [.] pas harmonisées» et souligne qu’il est «très important que l’Eurosystème puisse utiliser les créances privées en garantie au titre du régime institué par la directive 2002/47/CE, facilitant ainsi la gestion informelle et efficace de ce type d’actif, en particulier par des moyens électroniques et y compris l’ensemble des opérations transfrontalières.»

2.5.

Bien que la proposition de règlement ne concerne que des questions de conflit de lois plutôt que des questions de fond, la BCE souhaite réitérer ses remarques antérieures concernant l’un des risques découlant de la mobilisation des créances privées en garantie par les banques centrales, tant dans les systèmes juridiques de la zone euro qu’au niveau de l’Union, à savoir le risque que les tiers débiteurs (ou garants) de ces créances privées exercent des droits de compensation pour les montants qui leur sont dus par les titulaires de ces créances. Ce risque peut réduire de manière significative la valeur de la créance privée et pourrait compromettre son «caractère approprié» en tant que sûreté en vertu de l’article 18.1 des statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne (ci-après les «statuts du SEBC»). Si une banque centrale souhaite réaliser une créance privée, en cas de défaillance de la contrepartie, la possibilité de compensation peut entraîner la perte partielle ou totale de la valeur de la garantie relative à la créance privée. L’article 3, paragraphe 3, point i), de la directive 2002/47/CE, tel qu’il a été introduit par la directive 2009/44/CE, ne concerne la compensation que de manière limitée. Un certain nombre d’États membres ont introduit une législation qui tient compte de ce risque en excluant les droits de compensation pour les créances privées mobilisées en garantie dans les opérations de crédit avec les banques centrales du SEBC (14).

2.6.

La BCE considère l’objectif visant à exclure les risques de compensation liés à l’acceptation de créances en garantie des opérations de crédit de l’Eurosystème comme étant légitime et parfaitement conforme aux statuts du SEBC. La protection du SEBC contre toute perte potentielle résultant de l’acceptation de tels titres en garantie est étroitement liée à l’exigence énoncée à l’article 18.1, deuxième tiret, des statuts du SEBC, selon laquelle les prêts effectués par les banques centrales du SEBC doivent être effectués sur la base d’une sûreté appropriée pour les prêts. En outre, le traitement approprié des risques de compensation facilite également le maintien de l’éligibilité des créances en tant que sûretés aux opérations de crédit de l’Eurosystème, et contribue ainsi à l’efficacité de la transmission de la politique monétaire à l’économie réelle (15). La BCE invite le Conseil à envisager une modification de la directive 2002/47/CE afin d’exclure la possibilité pour le débiteur ou (garant) d’une créance privée fournie en garantie à une banque centrale dans le cadre des opérations de crédit de l’Eurosystème d’exercer tout droit de compensation dont il pourrait se prévaloir envers le prêteur initial en vertu de cette créance. Afin de minimiser le montant des pertes potentielles en cas de réalisation, cette exclusion devrait également couvrir tout tiers auquel la créance privée est ensuite cédée par une banque centrale de l’Eurosystème (16).

Lorsque la BCE recommande de modifier une proposition de règlement, des suggestions de rédaction particulières, accompagnées d’une explication, sont formulées dans un document de travail technique séparé. Le document de travail technique est disponible en anglais sur le site internet de la BCE.

Cet avis sera publié sur le site internet de la BCE.

Fait à Francfort-sur-le-Main, le 18 juillet 2018.

Le président de la BCE

Mario DRAGHI


(1)  COM(2018) 96 final.

(2)  Directive 2002/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière (JO L 168 du 27.6.2002, p. 43).

(3)  L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2002/47/CE autorise les États membres à conserver les règles nationales en ce qui concerne la constitution, la validité, la conclusion, l’opposabilité ou l’admissibilité à titre de preuve d’un contrat de garantie financière ou la constitution d’instruments financiers ou d’espèces en garantie en vertu d’un contrat de garantie financière qui existaient avant l’adoption de la directive 2002/47/CE.

(4)  L’exposé des motifs de la proposition de règlement énonce à juste titre que «[l]a clarté quant à la question de savoir qui détient une créance à la suite de sa cession transfrontière est importante pour les acteurs des marchés financiers ainsi que pour l’économie réelle» (voir p.8).

(5)  Règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO L 177 du 4.7.2008, p. 6).

(6)  Ce, malgré le fait que l’article 38 du règlement (CE) no 593/2008 précise que s’agissant de la cession de créance, l’article 14, paragraphe 1, s’applique également aux aspects de droit réel d’une cession de créance entre cédant et cessionnaire.

(7)  Voir Commission européenne, Livre vert – Construire l’union des marchés des capitaux (COM(2015) 63 final, Bruxelles, le 18.2.2015). Voir également Banque centrale européenne, Construire l’union des marchés des capitaux - Contribution de l’Eurosystème au livre vert de la Commission européenne, 2015.

(8)  Page 2 et note de bas de page 10 de l’exposé des motifs de la proposition de règlement. Il convient d’observer qu’à la fin du second trimestre de 2017, le montant des opérations de crédit de l’Eurosystème garanties par des créances privées et mobilisées sur une base transfrontalière était nettement inférieur au montant indiqué.

(9)  Directive 98/26/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres (JO L 166 du 11.6.1998, p. 45).

(10)  Directive 2009/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 modifiant la directive 98/26/CE concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres et la directive 2002/47/CE concernant les contrats de garantie financière, en ce qui concerne les systèmes liés et les créances privées (JO L 146 du 10.6.2009, p. 37).

(11)  Directive 2001/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 avril 2001 concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit (JO L 125 du 5.5.2001, p. 15).

(12)  Voir page 11 de l’exposé des motifs de la proposition de règlement.

(13)  Voir point 9.1 de l’avis CON/2008/37.

(14)  Voir, par exemple, article L. 141-4, section 1, paragraphe 2, du Code monétaire et financier, introduit par l’article 53 de la loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016; article 26 du décret-loi italien no 237 du 23 décembre 2016, transformé en loi par la loi du 17 février 2017, no 15; article 22-1, paragraphe 4, de la loi du 23 décembre 1998 relative au statut monétaire et à la Banque centrale du Luxembourg; voir également points 2.1 et 2.2 de l’avis CON/2006/56; point 2.3 de l’avis CON/2016/37; point 5.1 de l’avis CON/2017/1.

(15)  Voir point 2.2 de l’avis CON/2016/37 et point 5.1 de l’avis CON/2017/1.

(16)  Voir point 2.5 de l’avis CON/2016/37.


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