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Entretien avec L'Opinion

Entretien de Peter Praet, membre du directoire de la BCE, accordé à Luc de Barochez, le 15 septembre, et publié le 20 septembre 2016

Croissance plate, chômage élevé, lourds déficits, réformes enlisées… Dans quelle mesure la France est-elle un sujet d’inquiétude pour la Banque centrale européenne ?

Contrairement à beaucoup d’autres pays de l’Union, la France a traversé sans trop de dommages la crise financière. Elle n’a pas subi non plus de crise de dette souveraine. Et pourtant, par rapport à ces conditions pas si mauvaises, les performances de l’économie française restent étonnamment faibles, la morosité persiste. Les gouvernements successifs ont marqué leur volonté d’introduire des réformes structurelles. Certaines ont été mises en œuvre. Mais on constate une grande difficulté à les faire passer. Le problème le plus préoccupant est le marché de l’emploi, en particulier le chômage des jeunes. Le gouvernement a bien identifié qu’il est plus difficile de faire des affaires en France que dans des pays comme l’Allemagne ou la Belgique. C’est, entre autres choses, une question de relations du travail. C’est pourquoi la réforme mise en œuvre dans la loi Travail pour faciliter les accords d’entreprise va dans le bon sens.

Quel remède est le plus important pour un pays comme la France, une politique d’amélioration de la compétitivité ou une réduction prioritaire des déficits publics ?

Les deux sont importants. Notre message est que la dette doit rester soutenable. Mais ce n’est pas uniquement une question de montant en valeur absolue. La qualité des finances publiques est essentielle. Par exemple, pour les dépenses de santé, un pays qui dépense moins offre parfois des soins de meilleure qualité qu’un pays qui dépense beaucoup plus. D’autre part si la soutenabilité de la dette est améliorée par une réforme, on peut se montrer un peu plus large sur le plan budgétaire pour faciliter la mise en œuvre de la réforme. C’est une flexibilité acceptée par la Commission. Mais souvent on se montre souple sur le budget et ensuite la réforme a du mal à suivre !

Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, veut doubler le montant de son plan d’investissement, à 630 milliards d’euros. Est-ce décisif pour la croissance ?

C’est une bonne orientation politique, mais l’effet concret de tels plans d’investissement est encore difficile à évaluer. Pour le moment, la dynamique de l’investissement dans la zone euro et dans chaque Etat membre reste trop faible.

L’Allemagne par la voix de Wolfgang Schäuble a rejeté l’appel du président de la BCE Mario Draghi à utiliser ses excédents pour la relance. Avez-vous l’impression de prêcher dans le désert?

L’Allemagne respecte les critères du Pacte de stabilité : grâce aux excédents budgétaires et malgré la forte immigration, elle a bon espoir de ramener plus vite que prévu sa dette sous les 60% du PIB, limite fixée par Maastricht. Néanmoins, l’énorme excédent de la balance allemande des paiements courants, à près de 9% du PIB, est une anomalie. La croissance est trop tirée par la demande extérieure. L’Allemagne a de la marge budgétaire pour développer sa demande interne.

Berlin accuse la BCE d’être la responsable de ce déséquilibre, car votre politique monétaire affaiblit l’euro et encourage les exportations.

Notre politique monétaire est fortement accommodante depuis le printemps 2014, répondant à des chiffres et des perspectives d’inflation trop longtemps trop faibles. C’est une politique unique pour la zone euro dans son ensemble. Elle n’est pas nécessairement optimale pour chaque pays à chaque moment. Chaque Etat doit donc développer de son côté d’autres moyens de corriger les tensions et les déséquilibres. Dans le cas de l’Allemagne, c’est à elle de décider comment elle veut développer son marché intérieur, par la hausse des salaires, l’augmentation des investissements ou encore la réduction des impôts. Par exemple l’Allemagne a besoin de réformes structurelles dans certains secteurs comme les services. L’environnement très bon offre une opportunité unique qui ne durera pas nécessairement, car l’Allemagne est confrontée à d’importants défis industriels pour les années qui viennent, dans l’automobile par exemple.

La BCE vient de franchir les 1000 milliards d’euros d’achats de titres dans le cadre de son programme d’assouplissement quantitatif, mais l’impact sur l’inflation et la croissance semble négligeable.

On ne peut pas dire ça car sans notre politique, où serait l’inflation? Ne sous-estimons pas la situation très critique où nous étions. Notre politique monétaire a été essentielle pour éviter une grave récession. Au début de la crise en 2007/ 2008, un énorme fossé séparait les attentes à long terme, qui tablaient sur des taux de croissance élevés, et la dure réalité. Les attentes exagérées ont conduit à un endettement excessif. Nous vivons dans la correction de cet excès de crédit. Grâce à nos mesures conventionnelles et non conventionnelles, comme nos achats de dette publique, la situation commence à se normaliser.

Cette politique ultra-accommodante expire en principe en mars 2017, allez-vous la stopper à l’échéance?

Notre politique monétaire a pour objectif d’assurer un retour de l’inflation à des niveaux inférieurs à, mais proches de 2% à moyen terme. Nous préserverons le degré très élevé de soutien monétaire nécessaire pour remplir notre mandat. Nos 80 milliards d’achats mensuels d’actifs devraient être réalisés jusqu’à la fin du mois de mars 2017 ou au-delà si nécessaire, et en tous cas jusqu’à ce que nous observions un ajustement durable de l’inflation conforme à notre objectif.

Dans les risques potentiels pour la croissance, incluez-vous une éventuelle élection de Donald Trump aux Etats-Unis, avec un programme protectionniste?

Il faut distinguer le discours électoral des politiques mises en oeuvre. Le discours cependant, pas seulement aux Etats-Unis, tend aujourd’hui à être plus national et plus protectionniste. Actuellement, les gens voient plutôt le côté négatif de la mondialisation que le positif. Cette érosion de la confiance dans l’importance des échanges internationaux est préoccupant et risque d’empêcher la transmission des idées et des savoirs-faire qui est essentielle pour la croissance. Pendant des années, les conséquences de la mondialisation sur certaines catégories de la population ont été sous-estimées : des politiques d’accompagnement sont nécessaires

Autre risque potentiel pour la croissance : si Matteo Renzi perdait son référendum cet automne en Italie, devrait-on craindre une nouvelle crise de la zone euro ?

En Italie comme en France ou dans d’autres pays, le problème est de convaincre la population que les réformes sont indispensables pour la prospérité et de les mettre en œuvre. Le gouvernement italien a entrepris des réformes très importantes. Celle des retraites, par exemple, a fortement amélioré la soutenabilité des pensions.

Des banques européennes se plaignent de vos taux de dépôt négatifs, pouvez-vous les rassurer sur le fait que vous n’irez pas plus loin en territoire négatif ?

Nous sommes conscients que la configuration de taux d’intérêt peut être difficile pour les banques. Mais c’est un élément de leur environnement auquel elles doivent s’adapter. Il faut aussi se souvenir qu’une grande partie du problème vient d’un système financier débridé qui s’est livré à des excès. Les conditions financières favorables, soutenues par notre politique monétaire très souple, ont énormément facilité l’ajustement des bilans des différents secteurs de l’économie, y compris le secteur financier.

Les banquiers doivent bien réfléchir à leur business model. Certaines banques ont une bonne attitude : elles reconnaissent qu’elles sont dans un environnement difficile et qu’elles doivent le gérer. Combien de temps durera cette situation ? Certains sur les marchés craignent que notre configuration de taux pourrait rester inchangée pour un avenir extrêmement éloigné, dix ans par exemple…Pour ma part, je pense qu’il ne faut pas être excessivement pessimiste.

Vous ne croyez pas à une stagnation séculaire ?

Non. Nous éprouvons de sérieuses difficultés d’ajustement, qui trouvent leur source dans le ralentissement de la productivité, mais ce ralentissement peut être géré par des réformes structurelles. Ce n’est pas une fatalité.

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