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Entretien avec la Libre Belgique

Entretien avec Peter Praet, membre du Directoire de la BCE, accordé à Isabelle de Laminne et Vincent Slits, pour La Libre Belgique, publié le 21 décembre 2015

Quelle est la situation de la zone euro à l’aube de 2016 ? Comment voyez-vous les années à venir ?

Les perspectives économiques sont meilleures, dans un environnement où les taux d’intérêt sont faibles et où les prix du pétrole ont fortement baissé. Il faut aussi souligner les effets positifs des réformes structurelles dans plusieurs pays, comme l’Espagne et l’Irlande. Ces éléments ont eu des effets positifs sur le marché de l’emploi et sur la reprise économique. Les politiques budgétaires seront également plus neutres, voire même légèrement expansionnistes. Elles contribueront ainsi pour 0,1 % à la croissance du PIB de la zone euro en 2016 et en 2017.

De lourds efforts budgétaires ont été accomplis, même si les dettes sont encore à des niveaux trop élevés. Cependant, il faut être conscient que le PIB réel de la zone euro au premier trimestre 2016 retrouvera à peine son niveau du début de l’année 2008. Cela veut dire que, durant 8 ans, le PIB de la zone euro n’a pas connu de croissance réelle, en moyenne, même si la croissance a été raisonnable dans des pays comme l’Allemagne. D’autres pays ont ainsi enregistré une forte chute de leur niveau de vie pendant une période très longue.

Cela pose plusieurs problèmes. Les dégâts d’une période de non-croissance, avec deux récessions, sont conséquents. Il y a bien sûr le chômage structurel mais l’investissement productif s’est aussi fortement réduit durant cette période et n’a toujours pas retrouvé son niveau de 2008. L’investissement en infrastructures des États s’est également fortement réduit.

Et le secteur financier est-il stabilisé aujourd’hui ?

Le secteur financier est plus solide. Il s’est largement recapitalisé. La supervision bancaire s’effectue désormais au niveau de la Banque centrale européenne , c’est un point très positif. Mais il y a encore des poches de fragilité comme, par exemple, le niveau des créances douteuses dans quelques pays. Ces créances sont provisionnées mais c’est un élément de fragilité. Il faut aussi souligner la faible rentabilité des banques, parfois, et le niveau des dettes publiques, qui est encore important.

Avant la crise, les dettes publiques de la zone euro représentaient 60 % du PIB, aujourd’hui on est presque à 100 %.

En conclusion, la situation économique de la zone euro s’améliore mais reste difficile. Le défi principal pour la zone euro sera de démontrer sa capacité à apporter de la prospérité et de la sécurité. Le travail à faire reste énorme.

À cela s’ajoutent les risques politiques de ce que j’appelle le « pessimisme rampant ». Le soutien en faveur de l’euro est toujours important mais il y a encore, au niveau politique, un phénomène de rejet d’une intégration européenne plus poussée. C’est un des risques pour les années à venir. La crise a mis en évidence non pas les faiblesses de l’union monétaire, mais les faiblesses d’une union monétaire incomplète.

La BCE envoie souvent le message selon lequel elle peut créer les conditions d’une meilleure croissance mais que les gouvernements doivent, eux, entreprendre des réformes structurelles pour rendre leurs économies plus compétitives. Les politiques attendent-ils trop de la BCE ?

Oui et non.

Non, car il faut que tous les responsables agissent. Ce n’est pas un grand plan coordonné. Il faut un mélange entre, d’une part, une politique de réformes structurelles, stimulant l’offre dans l’économie, et un soutien à la demande mené par la banque centrale et, d’autre part, des politiques budgétaires qui visent à la fois la soutenabilité de la dette et la croissance à long terme. Il faut éviter par exemple de couper dans les infrastructures publiques, ce n’est pas bon pour la croissance de long terme. Le défi principal, pour les gouvernements, est de retrouver le chemin de la productivité, source de prospérité. Si on regarde les perspectives de croissance en 2000 pour les 5 années suivantes, on pensait atteindre un taux de croissance moyen de 2,4 %. En 2015, les perspectives de croissance pour les 5 prochaines années ne sont plus que de 1,3 % par an. Ce problème touche aussi le Japon, les États-Unis et les pays émergents. Les gains de productivité sont limités à certains secteurs technologiques. Il faut les diffuser au reste de la société, dans le secteur de la santé par exemple, ou dans la collecte des impôts. Dans l’ensemble, les gains de productivité ont ralenti par rapport aux décennies précédentes. La priorité dans les réformes structurelles doit être mise sur la diffusion rapide de ces avancées technologiques à toute la société.

Oui, car on attend trop de la BCE quand d’autres acteurs réduisent leurs efforts alors que nous agissons. Ainsi, les efforts ont diminué du côté des finances publiques. La BCE a permis d’éviter une véritable dépression en 2012 et 2013, voire l’éclatement de l’euro. Elle va continuer à avoir une politique monétaire accommodante aussi longtemps que nécessaire. Sans donner de date, cet horizon est assez long. C’est un travail de longue haleine. Il y a des risques supplémentaires qui viennent aussi du ralentissement dans les pays émergents. Ces risques sont assez importants pour la zone euro. Il existe également des pressions à la baisse sur les prix dans l’industrie manufacturière en raison des productions excédentaires et du niveau de chômage très élevé.

Mais ce n’est pas cette politique monétaire, seule, qui va résoudre tous les problèmes.

La Grèce est-elle désormais sous contrôle ?

Les discussions sont en cours et restent intenses, sur le plan politique et technique, mais la volonté d’aboutir est là, et le climat des discussions a fortement évolué, il est nettement plus positif qu’en début d’année. Il y a déjà énormément d’acquis dans ces négociations. Des réformes importantes ont été votées. Les banques vont pouvoir être recapitalisées. Mais la situation reste néanmoins très fragile dans ce pays.

Comme la crise de la dette a été un danger pour la cohésion européenne, la crise migratoire n’est-elle pas le prochain danger pour cette cohésion européenne ? Ou est-elle plutôt une opportunité ?

Il faut que l’Europe montre qu’elle est une zone de prospérité et de sécurité. À court terme, l’impact économique des migrations sera une expansion budgétaire avec un certain effet positif sur la croissance. La dégradation de la situation budgétaire en Allemagne devrait être de l’ordre de 0,3 à 0,4 % du PIB en 2016 et 2017. Elle sera plus faible dans les autres pays. À long terme, il faudra aussi voir l’impact de cette crise des réfugiés. Cette population est différente et il va falloir veiller à son intégration sur le marché du travail, surtout en Allemagne. À moyen terme, ça peut être un facteur positif au niveau démographique. La question reste celle de l’intégration dans le marché du travail selon les profils des immigrés. Tous ces aspects économiques sont connus et simples. Économiquement, ce n’est pas une situation insurmontable, la question est surtout politique. Plus on arrivera à une intégration au niveau économique, mieux ce sera accepté au niveau politique. Mais tout cela ne se fait pas en un jour. L’Europe a besoin d’une main-d’œuvre jeune et bien formée. D’une situation tragique, nous pouvons créer une opportunité mais ce n’est pas gagné d’avance. Les migrations organisées par un État peuvent se faire, comme nous l’avons déjà fait par le passé.

L’enjeu de la sécurité face à la menace terroriste va devenir un enjeu clé pour les gouvernements dans les mois à venir. La France a déjà dit qu’elle prendrait quelques libertés avec les contraintes européennes en termes de déficit. Ne faut-il pas assouplir le carcan budgétaire des États ?

Là, on exagère un petit peu, car les chiffres de la sécurité sont assez faibles dans les budgets, et renforcer la sécurité n’est pas excessivement onéreux. Bien sûr, cela rentre dans une problématique budgétaire mais les montants ne sont pas très élevés. En revanche, si l’on inclut dans la sécurité la défense nationale, là les chiffres sont potentiellement plus importants. Soulignons cependant que les problèmes budgétaires de la France ne viennent pas de là. Elle a aussi un problème structurel bien connu.

Comment contrer économiquement la montée en puissance des courants nationalistes et populistes en Europe ?

En assurant la prospérité et la sécurité économiques promises lorsqu’on a créé la zone euro. Aujourd’hui, en termes de production économique, on est au même niveau qu’il y a 8 ans. La crise a provoqué des dégâts économiques et sociaux importants, notamment dans les pays qui ont subi une chute de leur niveau de vie. Les inégalités ont augmenté à cause du chômage. C’est inacceptable socialement et cela a des conséquences politiques. La volonté d’intégrer davantage la zone euro n’est pas évidente. On vit une période charnière. L’intégration au niveau financier avance, mais il faut encore approfondir le projet européen dans son ensemble. Il faut résister aux tentations de faire marche arrière, il ne faut pas accepter de faire du sur place, il faut aller de l’avant vers plus d’intégration.

Je suis banquier central, je suis plus un observateur qu’un acteur dans ce domaine. La politique monétaire n’est qu’un élément. Même les plus critiques reconnaissent que la BCE est une institution qui fonctionne bien et qui est capable de prendre des décisions, d’éviter des catastrophes. Il faudrait avoir l’équivalent, en termes d’efficacité, au niveau politique, même si, j’en conviens, c’est plus difficile. Et comme je le disais, la crise a mis en évidence non pas les faiblesses de l’union monétaire, mais les faiblesses d’une union monétaire incomplète.

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