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Le rôle d'une banque centrale dans la promotion et la protection de l'épargne

Discours prononcé par M. Christian Noyer, Vice-président de la Banque centrale européenne, au colloque EUROFONDSà Paris, le 21 janvier 2000

Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de participer à cette conférence EUROFONDS consacrée à l'épargne. A cette occasion, je voudrais vous faire part de quelques réflexions sur le rôle d'une banque centrale dans la promotion et la protection de l'épargne. Il s'agit bien là d'un sujet crucial car le niveau d'épargne détermine en grande partie le niveau à long terme des investissements productifs qui sont à la source d'une croissance solide et stable. D'autre part, le niveau et la structure de l'épargne affectent à plus d'un titre le coût et le mode de financement des entreprises, la rentabilité du secteur financier, ou la répartition des revenus entre les différentes générations avec la question centrale du financement des retraites.

Je souhaite centrer mon exposé, comme vous le comprendrez, non sur la banque centrale en théorie mais sur le rôle dans ce domaine de l'Eurosystème, c'est-à-dire de la banque centrale européenne et des onze banques centrales nationales de la zone euro. Par ailleurs, je dirai quelques mot sur les effets de la création de l'euro sur le développement et la protection de l'épargne en Europe. Donc, je développerai deux idées:

  • En assurant la stabilité des prix, l'Eurosystème contribue à la protection et à la consolidation de l'épargne.

  • La création de l'euro est un facteur d'extension et d'intégration des marchés financiers qui devrait améliorer l'allocation de l'épargne financière.

1. En assurant la stabilité des prix, l'Eurosystème contribue à la protection et la consolidation de l'épargne.

L'objectif premier de la politique monétaire de l'Eurosystème, tel que le lui assigne le Traité, est la stabilité des prix. Cet objectif est fondé sur la conviction que la stabilité des prix permet d'assurer la pleine efficacité du système des prix, d'éviter les redistributions arbitraires de richesses liées à l'inflation ainsi que les coûts et distorsions liés à l'incertitude comme aux révisions périodiques des valeurs nominales.

Ces conséquences favorables de la stabilité des prix bénéficient de toute évidence à l'épargne. Je verrai pour ma part trois types d'effets à cet égard : un effet sur la protection de la valeur de l'épargne, un effet sur sa structure et son allocation, enfin un effet sur la répartition sociale de l'effort d'épargne.

Tout d'abord, en visant la stabilité des prix, la politique monétaire préserve directement la valeur réelle d'une partie importante de l'épargne financière. Cela apparaît immédiatement dans le cas de la monnaie fiduciaire ou des dépôts à vue non ou faiblement rémunérés (lesquels représentaient 39% de l'agrégat monétaire M3 en 1999). Cependant, les dépôts à terme ne sont pas totalement préservés de l'inflation dès lors que leur rémunération est fixée sur une certaine période ou qu'elle ne s'ajuste qu'avec retard aux taux de marché. De même, la rémunération des titres de dettes à taux fixe comme les obligations n'intègre que l'inflation anticipée et est donc vulnérable à tout dérapage inflationniste inattendu. Or, il est empiriquement établi, comme l'intuition le suggère, que la variation de l'inflation augmente avec son niveau, ce qui implique que les primes de risque sont généralement inadaptées au niveau d'inflation effectif. J'ajouterais que l'inflation crée un biais fiscal bien connu dès lors que les flux d'intérêts versés aux créanciers intègrent une prime inflationniste qui doit couvrir la dépréciation du capital financier en période d'inflation, et que cette prime, qui ne constitue pas un revenu réel, est imposée.

En définitive, il se crée en situation d'inflation croissante non anticipée un transfert de richesses des créanciers vers les débiteurs. Celle-ci nuit à une allocation optimale de l'épargne (j'y reviendrai) dès lors que ces transferts de richesse ne correspondent pas à l'expression d'un service ou d'un coût économique réels mais ont toutes les caractéristiques d'un "profit d'aubaine" ou d'une perte exceptionnelle. Elle peut aboutir aussi à réduire le montant d'épargne par deux voies : en décourageant la propension des agents à épargner des sommes sujettes à l'aléa monétaire ; en transférant (par le biais de la dépréciation des dettes nominales et la distorsion fiscale dont j'ai parlée) des revenus d'inflation au secteur public dont le taux d'épargne est actuellement réduit.

En second lieu, de même que l'inflation perturbe le système de mesure des prix des biens et services, elle affecte la qualité des indicateurs de rentabilité et des taux d'intérêt. A titre d'exemple, les profits d'une entreprise peuvent être artificiellement affectés par les différences de dates de comptabilisation des charges et recettes ou par l'incorporation dans les flux d'intérêt de primes d'inflation. Certes, ces profits peuvent éventuellement comprendre un gain effectif lié à la réduction des charges réelles d'intérêt, mais celui-ci ne correspond pas à la rentabilité intrinsèque de l'entreprise De même, la comparabilité, et donc la sélectivité des différents placements est amoindrie par l'incorporation dans les taux de rendement affichés de primes d'inflation élevées.

Par ailleurs, l'inflation nuit à une orientation à long terme de l'effort d'épargne comme le montre a contrario le développement des placements longs avec le recentrage des politiques monétaires en Europe en faveur de la stabilité des prix depuis quelques années La part importante des placements d'assurance vie des agents non financiers dans la zone euro en est une illustration. Celle-ci est passée de 18% des flux de placements des agents non financiers de la zone euro au début de la dernière décennie à 26% en moyenne en 1997 et 1998. De même, les émissions obligataires en Europe ont été particulièrement stimulées en 1999, même si cela s'explique aussi par la disparition du risque de change à l'intérieur de la zone et la plus grande profondeur du marché. Autre indice de cette tendance à la consolidation de l'épargne, les exigibilités non monétaires des institutions financières monétaires de la zone euro en 1999 ont notablement progressé en 1999 (de 7,2% sur un an à la fin de novembre de cette année-là).

De même, ce primat de la stabilité des prix contribue à améliorer ce qu'on pourrait appeler pour simplifier la visibilité macro-économique et favorise ce faisant l'investissement à long terme. La réduction des taux d'intérêt réels consécutive à la réduction de la prime inflationniste va dans le même sens. Or, je rappellerai qu'investissement et épargne sont deux aspects d'une même réalité (ainsi que le traduit la comptabilité nationale qui inclut l'investissement dans l'épargne brute), c'est-à-dire l'accumulation du capital physique ou financier en vue d'un rendement futur.

En troisième lieu, la stabilité des prix comporte des implications importantes pour la répartition sociale de l'effort d'épargne.

La stabilité des prix bénéficie notablement aux catégories sociales les moins aisées qui n'ont souvent pas l'information suffisante pour bien protéger leur épargne en période d'inflation. A une époque où l'on se préoccupe fortement de l'aménagement du temps de travail au cours de la vie, il est essentiel que soit donnée à chacun la possibilité d'épargner, c'est-à-dire d'organiser une partie de ses revenus futurs, de façon relativement sûre.

D'autre part le principe de stabilité monétaire met en évidence avec une acuité particulière la question de la répartition des revenus entre les générations. Dans une situation où la part des dépenses publiques a atteint un niveau très élevé (elle représentait en 1999 49% du PIB dans la zone euro, alors qu'elle se situe à 39% au Japon ou 34% aux Etats-Unis) et où les déficits publics sont limités par le Traité et ne peuvent plus être couverts par l'inflation, le rôle de l'épargne privée dans le financement futur des retraites prend une dimension cruciale.

Je terminerai cette première partie en disant que l'incidence positive de la stabilité des prix sur l'épargne intérieure contribue naturellement, dans le marché mondial des capitaux dans lequel nous vivons à garantir l'attraction durable de la zone euro pour les investissements financiers à long terme de la part des non-résidents. Cela implique aussi que les autres politiques économiques concourent à un environnement favorable, par des mesures structurelles visant à renforcer la flexibilité du marché du travail comme l'efficacité des marchés des biens, des services et des capitaux.

J'ai souligné les effets de la politique monétaire de l'Eurosystème sur le volume de l'épargne et sa consolidation. La création, avec l'euro, d'une vaste zone monétaire contribue également à une gestion plus efficiente de l'épargne.

2. La création de l'euro est un facteur d'extension et d'intégration des marchés financiers qui améliore l'allocation de l'épargne financière.

La création de l'euro a accéléré le développement et l'intégration des marchés de capitaux en Europe, qui sont soutenus depuis plusieurs années par la libéralisation financière et l'innovation technologique.

En effet, la monnaie unique fait disparaître le risque de change entre les pays de la zone et facilite la standardisation des instruments de dettes et leur gestion sur une plus vaste échelle. Cet effet d'intégration de l'euro s'est fait sentir en premier lieu sur le marché monétaire, grâce notamment à l'établissement du système de règlement de montant élevé TARGET mis à la disposition des banques par le Système européen des banques centrales. Cette intégration s'est manifestée par exemple par l'adoption rapide par le marché des taux de référence de la zone euro comme le taux EONIA pour le taux au jour le jour ou l'EURIBOR pour les échéances inférieures à un an. Surtout, on a assisté à une totale convergence des taux d'intérêt à court terme au sein de la zone.

Sur les marchés obligataires, l'intégration des marchés reste encore incomplète, en raison des divergences nationales relatives aux droits de propriété des créances, aux réglementations fiscales, comptables et prudentielles ou aux systèmes de règlement (qui freinent par ailleurs l'intégration des marchés des titres à court terme ou ceux de la pension). L'intégration des marchés obligataires progresse cependant. D'une part, on a assisté à la généralisation d'indices obligataires européens. D'autre part, les différences de taux entre les émissions souveraines à l'intérieur de la zone se sont fortement réduites en 1998. Par ailleurs, l'année 1999 s'est traduite par une croissance spectaculaire des obligations en euros émises par les entreprises privées non financières (de l'ordre du triple, sur les dix premiers mois, par rapport à la même période de 1998), et un élargissement conséquent du marché aux signatures de deuxième rang.

De même, l'intégration des marchés boursiers avance, même si ceux-ci doivent surmonter le même type de cloisonnements que j'ai évoqués. Outre les rapprochements entre sociétés de bourse un développement notable des transactions sur les nouveaux indices européens a été observé. Par ailleurs, les "nouveaux marchés" ouverts aux valeurs de croissance favorisées au premier chef par la mise en place du grand marché européen, ont connu une vive expansion.

L'extension des marchés de capitaux et leur plus grande intégration participent d'une allocation plus efficace de l'épargne. D'une part, cette évolution conduit à réduire les coûts de transaction et accroître la liquidité des instruments échangés (ce qui concoure aussi, toutes chose étant égales par ailleurs, à réduire le niveau absolu des taux d'intérêt). D'autre part, elle multiplie les opportunités de placement et améliore leur sélection. Parallèlement, elle accroît la concurrence entre les émetteurs, les investisseurs, et même dans une certaine mesure, les réglementations (ainsi qu'en témoigne par exemple l'adoption dans plusieurs pays comme la France d'un cadre légal des obligations foncières, à l'instar des Pfandbriefe allemands). Dans le même temps, cette plus grande profondeur du marché appelle une restructuration et une rationalisation de l'industrie financière ce qui aura pour effet de renforcer la gestion de l'épargne en Europe. Deux indications illustrent cette tendance : le nombre d'institutions financières monétaires (qui décroît déjà régulièrement depuis quelques années) s'est réduit de 5% sur un an en 1999 (à la fin du mois de novembre) ; la valeur totale des opérations de fusions et acquisitions impliquant des banques de la zone euro a nettement dépassé (de l'ordre de 35% selon certaines bases de donnée privées) le niveau déjà élevé enregistré en 1998. Il a été supérieur également, en 1999, au niveau des transactions similaires enregistrées aux Etats-Unis.

Conclusion

Ainsi, la stabilité des prix et la formation d'un grand marché financier intégré sont bénéfiques au développement de l'épargne dans la zone euro et à sa meilleure allocation.

Il convient certes d'éviter que certains déséquilibres financiers ne viennent remettre en cause cet environnement propice.

Ainsi, l'insuffisance de la consolidation budgétaire conduit les Etats à mobiliser d'une part notable de l'épargne privée disponible. De même, des fiscalités trop lourdes ou des évolutions salariales en décalage avec la croissance de la productivité, nuisent au dynamisme de l'investissement et donc de l'épargne. Son développement requière également une certaine convergence des systèmes fiscaux Enfin, la bonne santé du secteur financier est essentielle à la protection de l'épargne. Même si l'Eurosystème n'a pas d'attribution directe en matière de surveillance prudentielle, il est attentif aux évolutions des risques encourus par le secteur bancaire, comme d'une manière générale aux évolutions des prix d'actifs, dès lors qu'ils seraient de nature à affecter la stabilité monétaire et financière dans son ensemble.

En ces domaines, le rôle de l'Eurosystème est toujours de préserver la confiance des agents dans la monnaie, de contribuer au bon fonctionnement du système financier, et de promouvoir des politiques macro-économiques saines, qui soutiennent la volonté et la capacité d'épargne.

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