Options de recherche
Page d’accueil Médias Notes explicatives Recherche et publications Statistiques Politique monétaire L’euro Paiements et marchés Carrières
Suggestions
Trier par

Entretien avec France Info

Entretien de Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, accordé à Jean Leymarie, le 9 avril 2018 et publié le 10 avril 2018

En Europe la croissance est toujours là, elle est bien là, mais elle ralentit, c’est de plus en plus net : est-ce que cela vous inquiète ?

Je ne crois pas que la croissance ralentisse. C’est quelque chose qu’on observe avec beaucoup de précision ; on suit tous les indicateurs. Pour l’instant ce qu’on observe, ce sont des indicateurs qui sont montés très, très hauts, à des niveaux qu’on n’avait pas vus depuis de nombreuses années, parfois dix ou quinze ans, et qui maintenant observent une petite correction qui était assez inévitable, puisqu’à un moment la croissance arrête d’accélérer et se stabilise sur une certaine trajectoire. C’est ce qu’on avait intégré dans nos prévisions, d’ailleurs. Donc cette correction ne nous conduit pas, aujourd’hui, à réviser nos prévisions. Je ne peux pas me prononcer pour le futur -on va continuer à suivre cela- mais, pour l’instant, c’est une stabilisation, et cela n’est pas quelque chose qui nous inquiète particulièrement.

Est-ce qu’elle pourrait vous amener à changer la politique monétaire, Benoît Cœuré ?

Non, et pour les mêmes raisons. Là encore, je ne me prononce pas pour le futur, puisque tout ça dépend complètement des indicateurs qui viennent tous les jours. Mais la politique monétaire est sur une trajectoire qui s’inscrit dans la durée, une trajectoire de patience. On sait qu’on a encore besoin d’une politique monétaire très accommodante pendant encore assez longtemps.

Il faut rappeler les choses, pour ceux qui nous écoutent : c’est notamment ce grand programme lancé il y a trois ans maintenant, un énorme programme de rachat d’actifs, de dettes publiques, et privées, des montants gigantesques : 2 500 milliards d’euros. Quand allez-vous arrêter ce programme ?

C’est une discussion qu’on va avoir sans doute bientôt, puisque le programme aujourd’hui c’est 30 milliards d’euros achetés par mois jusqu’en septembre, au moins. On n’en a pas dit plus. Donc, nécessairement, on aura assez prochainement une discussion pour savoir ce qu’on en fait…

Est-ce qu’il sera fini à la fin de cette année ?

Je ne sais pas encore, parce que ce n’est pas une discussion que le Conseil des gouverneurs de la BCE a eue, et encore moins une décision. Mais la discussion ça n’est pas seulement sur les achats d’actifs, c’est aussi sur la bonne combinaison d’instruments qui nous permet de bien soutenir l’activité et de ramener l’inflation vers 2 %. Il n’y a pas seulement les achats d’actifs, il y a aussi les taux d’intérêts. Et là, on a été clairs sur le fait que les taux d’intérêts vont rester au niveau actuel, c’est-à-dire très, très bas, proches de zéro - même en dessous de zéro- pour une longue période, même au-delà de l’horizon des achats d’actifs. Donc il faut vraiment voir cela dans la durée.

En cas de ralentissement économique - et encore une fois, c’est une possibilité-, est-ce que vous avez les moyens de réagir et d’être efficace, Benoît Cœuré ?

Cela n’est pas une possibilité qu’on discute aujourd’hui, parce qu’on n’a pas, aujourd’hui, de motif d’inquiétude sur la croissance de la zone euro qui est très forte, très solide, et très bien répartie dans la zone euro. Quelles que soient les circonstances, de toute façon, la BCE a un mandat clair : ramener l’inflation vers 2 %. On fera ce qu’il faut pour ramener l’inflation vers 2 %. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de raison de modifier la trajectoire qui a été décidée par notre Conseil des gouverneurs.

Aujourd’hui l’inflation est à 1,4% ?

Oui, elle est un peu en dessous de 1,5 %.

Est-ce que c’est un bon niveau ?

Ce n’est pas assez, c’est décevant. Mais on sait pourquoi : c’est parce qu’il y a encore beaucoup de chômage, beaucoup de capacités inemployées dans l’économie européenne. Mais on veut arriver vers 2 % d’inflation à moyen terme, et c’est pour cela qu’on va maintenir une politique accommodante.

La grande affaire du moment, Benoît Cœuré, ce sont les menaces du président américain, Donald Trump, qui souffle le chaud et le froid sur la politique commerciale, et notamment ce bras de fer qu’il a engagé, qu’il anime avec la Chine, avec Pékin. Est-ce que l’Europe doit s’en mêler, à ce stade ?

L’Europe est forcément concernée, l’Europe est une grande puissance commerciale…

Pour l’instant Trump dit : « Je menace l’Europe mais pas de barrières douanières particulières sur les produits européens »….

L’Europe a une politique commerciale unique et donc elle doit forcément réagir, et pas seulement aux menaces de droits de douane. Elle doit aussi se pencher sur ce qui est l’origine du problème, c’est-à-dire les surcapacités dans le monde, les surcapacités chinoises notamment. Cela n’est pas un sujet pour la BCE évidemment, c’est un sujet pour la Commission européenne et les gouvernements européens. Ce qui est important pour nous, d’un point de vue économique, c’est d’éviter la surenchère, d’éviter le vocabulaire guerrier. S’il y avait une guerre commerciale, ça pourrait être très dommageable pour l’économie mondiale…

Est-ce que c’est une guerre commerciale, là, ce que nous vivons ?

Pas encore. Ce sont des menaces, des escarmouches si vous voulez, mais pas encore une guerre commerciale. Si on basculait dans la guerre commerciale, ça pourrait avoir un impact très dommageable, y compris sur l’économie américaine…

Et vous l’avez chiffré, à la Banque centrale européenne, vous avez fait un scénario ?

Oui, on a fait un scénario -qui vaut ce que valent les scénarios, les modèles- et qui ne reflète pas la situation actuelle, les annonces actuelles du président américain. C’est un scénario où tous les pays augmenteraient leurs droits de douane de 10 % : un vrai scénario de guerre commerciale, très violente. Dans ce scénario, on voit un recul significatif de l’activité mondiale, y compris de l’activité aux États-Unis, et c’est bien ça qu’il faut éviter aujourd’hui.

De quel ordre ?

De l’ordre de 2,5 % du PIB aux États-Unis, et de l’ordre de 1 % du PIB au niveau mondial.

Ça serait grave ça ?

Cela serait très grave, et c’est ce qu’il faut éviter. C’est la responsabilité des gouvernements d’éviter cela, et surtout de régler ces différends, dans un cadre multilatéral.

Exactement ce que Donald Trump ne veut pas, quand il rejette le cadre multilatéral...

C’est ce qu’il ne veut pas, mais c’est ce que l’Europe souhaite. L’Europe souhaite que le monde soit géré d’une manière inclusive, que tout le monde se parle autour d’une table.

Vous dites aux européens : « faites-vous entendre » ? Que leur dites-vous ?

Ils se font entendre. Ils n’ont pas besoin de la BCE pour leur faire la morale, il y a une politique commerciale. Les Etats en discutent à Bruxelles et la Commission a déjà commencé à y travailler.

Je voudrais qu’on parle du Bitcoin aussi, tout autre sujet Benoît Cœuré, mais sujet important, on en a beaucoup parlé il y a quelques semaines. Le Bitcoin, cette crypto-monnaie qui a flambé il y a quelques mois avant de retomber, le Bitcoin était à près de 20 000 dollars, il est aujourd’hui à 7 000 dollars environ : est-ce que c’est la fin du Bitcoin ?

C’est sans doute la fin d’une illusion : que le Bitcoin puisse devenir une monnaie mondiale qui aurait vocation à remplacer le dollar ou l’euro. On voit bien qu’avec de telles variations de valeur, le Bitcoin -ou les crypto-monnaies en général- ne peuvent pas constituer un actif sûr. Les économistes disent « une réserve de valeur ». Ce n’est pas comme cela qu’on peut placer ses économies pour sa retraite. Maintenant, il ne faut pas, non plus, négliger les potentialités qu’ouvrent le Bitcoin et les autres crypto-monnaies, notamment en matière technologique. C’est quelque chose sur lequel toutes les banques centrales travaillent. On regarde par exemple si le « blockchain », qui est la technologie qui fait fonctionner le Bitcoin, pourrait un jour remplacer nos systèmes de paiement. Ce sont des réflexions qui sont utiles, importantes et positives.

Mais cela n’est pas seulement de la technologie, c’est aussi de la philosophie presque pour ceux qui défendent le Bitcoin : ils le voient comme une monnaie libre, qui s’affranchit des Etats, des banques centrales aussi. Est-ce que vous le comprenez ?

Oui, et je pense qu’il faut écouter cela. Il faut avertir les investisseurs, les particuliers des dangers qu’il y a à investir en Bitcoin, et cela tout le monde l’a fait. Mais il faut aussi entendre ce que cela nous dit : cela nous dit qu’il y a des technologies qui peuvent transformer l’univers des paiements et de la monnaie, et cela, il faut l’intégrer. Cela nous dit aussi qu’il y a une défiance par rapport au système financier traditionnel, et que, peut-être, tous les efforts que nous avons tous faits depuis la crise financière pour réformer les banques, assainir le système financier, réduire les risques, ces efforts-là, peut-être, ne sont pas suffisants ou n’ont pas été compris, et donc cela, il faut l’entendre.

CONTACT

Banque centrale européenne

Direction générale Communication

Reproduction autorisée en citant la source

Contacts médias