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Entretien avec Libération

16 janvier 2015

Entretien avec Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE,
accordé à Jean Quatremer le 14 janvier et publié le 16 janvier 2015

Pourquoi la zone euro est-elle devenue le trou noir de la croissance ?

Ce ralentissement tendanciel de la croissance ne touche pas que la zone euro, mais l’ensemble des pays développés. En Europe, il est aussi lié à l’insuffisance d’innovations technologiques et au manque de dynamisme et d'ouverture des économies, voire des sociétés elles-mêmes.

La monnaie unique n’a-t-elle pas une part de responsabilité dans cette croissance molle ?

Non, pas l’euro en tant que tel. Il a même constitué une protection. Mais il faut reconnaître que, si la crise financière et économique de 2007-2008 est devenue particulièrement grave dans la zone euro, c’est aussi à cause des défauts de conception de l’union économique et monétaire. L’euro a été construit avec un cadre institutionnel imparfait, imaginé par le traité de Maastricht de 1992 et le Pacte de stabilité et de croissance de 1997. Ce cadre était sans doute adapté dans ses principes et en période de temps calme, mais il s’est révélé incomplet lorsque la tempête a éclaté. Il nous a manqué les instruments de coordination, de solidarité et de responsabilité qui auraient permis de gérer la crise et de rebondir plus rapidement comme cela a été le cas aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. Cette erreur a été progressivement rattrapée depuis 2010, avec la création du Mécanisme européen de stabilité (MES) et de l’Union bancaire, le renforcement de la gouvernance économique ou encore, dans le domaine monétaire, l’adoption du programme OMT qui permet à la BCE de racheter la dette publique en cas de besoin et que l'avocat général de la Cour de Justice européenne vient de valider. Mais on est encore au milieu du gué et le coût humain, en termes de chômage et de pauvreté, de ces erreurs de conception, ajoutées à un potentiel de croissance trop faible, a été important.

Il y a six mois encore, la BCE écartait tout risque de déflation. Or les prix commencent à baisser…

La zone euro n’est pas en déflation. Mais il y a un risque, qui s’est aggravé à l’été 2014, que la croissance et l’inflation restent durablement faibles, que l’on sombre dans « l’économie du 1% » : une croissance de 1 % et une inflation de 1 %. Cette perspective est suffisamment dangereuse pour que tous s’en préoccupent. Les responsables européens doivent mobiliser l’ensemble des instruments (monétaire, budgétaire, réformes structurelles) pour que la croissance reparte sur une base durable. Nous avons un impératif d’action commune, Etats et institutions communautaires, pour relancer rapidement l’activité. Cet impératif est devenu encore plus impérieux après les attentats de Paris qui ont visé les valeurs européennes que sont la liberté d’expression, la liberté de la presse et tout simplement la liberté. De mon point de vue, les attentats ont souligné s'il en était besoin qu’une partie de la jeunesse européenne reste sur le bord de la route, déclassée, sans emploi, au risque, dans des cas extrêmes, de s’égarer dans la délinquance voire le terrorisme. Sans croissance, ce phénomène ne peut que s’aggraver. L'union des Européens est un impératif, y compris dans le domaine économique. L'Europe a besoin d'une économie forte si elle veut défendre ses valeurs.

Ces attentats ne risquent-ils pas d’ébranler la confiance et donc de se traduire par une baisse de l’activité ?

Je ne crois pas. Je peux témoigner, vu de Francfort, que les attentats du 7 janvier ont créé un sentiment profond d’unité et de solidarité non seulement en France mais aussi en Europe. C'est là-dessus qu'il faut construire en Europe comme en France..

La BCE n’a-t-elle pas épuisé tous ses instruments ? Les taux d’intérêt sont à 0,05 %, vous prêtez de l’argent quasi gratuitement aux banques (les prêts TLTRO à 4 ans sont à 0,15%), vous les faites même payer quand elles déposent de l’argent aux guichets de la BCE, l’euro a baissé face au dollar…

Les décisions que nous avons adoptées l’été dernier ont été efficaces, car les agents économiques ont désormais la certitude que les conditions de financement vont rester favorables pendant longtemps. Cela a permis de protéger l’économie de la zone euro des chocs financiers internationaux, en partie liés à la normalisation de la politique monétaire américaine. La BCE a mis notre économie dans un "cocon" afin que la reprise, qui est fragile, ne soit pas compromise par des chocs extérieurs. Est-ce pour autant suffisant ? Depuis l’été 2014, on constate que le redémarrage de la croissance est plus faible et plus lent que prévu, l’inflation est bien plus faible que les 2 % de notre mandat. Cela nous oblige à réagir et, une nouvelle fois, à imaginer de nouveaux instruments de soutien à l’activité, comme nous l'avons fait à plusieurs reprises depuis le début de la crise. Mais si nos actions sont nécessaires à la reprise économiques, elles ne seront efficaces que si les Etats agissent en parallèle.

La BCE est donc prête à procéder à un « quantitative easing » (assouplissement quantitatif) à l’américaine, c’est-à-dire à racheter des emprunts d’Etat ?

Le Conseil des gouverneurs se réunira le 22 janvier. La discussion portera sur la composition et le volume de nos achats d’actifs sur les marchés et le scénario de base si nous voulons faire plus serait d'acquérir de la dette publique en grande quantité sur le marché secondaire (celui de la revente et non directement auprès des Etats, NDLR). Jusqu’à présent, nous l’avons fait de façon ciblée sur des titres financiers (obligations sécurisées et ABS) qui contribuent directement au financement de l’économie.

Ces rachats seront-ils ou non plafonnés et concerneront-ils ou non tous les Etats ?

C’est une discussion que le Conseil des gouverneurs de la BCE aura le 22 janvier. Nous prendrons en compte les expériences américaine ou britannique afin de décider du montant d’obligations à acheter afin de rétablir la confiance dans le fait que l’inflation reviendra à un niveau proche et inférieur à 2 %, tout en gardant en tête les spécificités économiques et institutionnelles de la zone euro. Nous devrons aussi décider si le rachat portera sur la dette de certains pays ou s’il devra être pondéré sur l’ensemble de la zone euro.

Alors que les taux d’intérêt sont très bas et que les banques ne se précipitent pas pour vous emprunter de l’argent, un QE est-il vraiment nécessaire ? Au plus fort de la crise, cela aurait permis de baisser les taux, mais aujourd’hui…

Le but d’un QE, c'est d'assurer la confiance dans la capacité de la banque centrale à stabiliser l'inflation. La manière dont cela fonctionne, c’est d’ancrer les taux de financement dans le plus grand nombre possible de pays à des niveaux très bas afin de garantir aux entreprises et aux ménages européens des conditions d’emprunt à des taux très faibles sur des périodes beaucoup plus longues qu’aujourd’hui. Ce que nous avons fait jusqu’à présent a stabilisé les conditions de financement à un horizon d’un ou deux ans. Là, il s’agit de jouer sur les conditions de financement à long terme, notamment (mais pas seulement) dans les pays dit périphériques qui en ont le plus besoin.

Si le QE échoue, il ne vous restera plus aucune munition.

Tout au long de la crise, la BCE a conçu des instruments efficaces pour faire face à des situations nouvelles, tout en restant dans le cadre de son mandat. Mais ne nous faisons pas d'illusion : l’efficacité de ce que l’on fera dépendra largement de ce que font et feront les Etats en matière budgétaire et de réformes structurelles, tout simplement parce que la politique monétaire n’a pas d’impact sur la croissance à long terme. Celle-ci dépend de la productivité de l’économie, du capital humain, de la qualité de l’éducation, de la cohésion sociale, et aussi du fait que la dette publique est revenue sous contrôle. Mais attention : cela ne veut pas dire pour autant que nous devrions attendre que les Etats agissent avant que nous fassions ce que nous avons à faire en tant que banque centrale. Ce serait une solution de facilité, ce n'est pas ma conception de l'éthique de responsabilité pour des responsables publics, et ce n’est pas conforme au texte des traités européens qui nous enjoignent de remplir notre mission quoiqu’il arrive.

Les partis eurosceptiques se renforcent à chaque élection, ce qui manifeste un ras le bol des populations face aux politiques actuelles qui se traduisent par des reculs sociaux. N’y a-t-il pas un risque que les Etats soient politiquement paralysés ?

Ce ras le bol n'est pas étonnant ! On ne peut pas en rejeter la responsabilité sur les peuples, c’est une question morale et démocratique. C’est aux autorités européennes et aux Etats de montrer qu’elles peuvent créer de la croissance et faire baisser le chômage, ce qu’elles n’ont pas réussi à faire de manière convaincante depuis le début de la crise. Or le risque est que ce ras le bol crée une spirale de défiance : faute de résultats probants, les peuples retireront leur confiance aux institutions européennes et à la construction communautaire. Or, il n’y a pas de solution sans Europe : on ne peut pas durablement relancer la croissance française si on ne renforce pas la croissance allemande ou italienne. Dans certains domaines il faut même plus d’Europe. Mais pour y parvenir, il faut rétablir la confiance des peuples dans l’Europe et pour cela il faut de la croissance. D’où l’importance symbolique du plan Juncker qui montre la détermination des Etats à créer de la croissance.

Si Syriza emporte les élections du 25 janvier en Grèce, y va-t-il un risque qu’elle sorte de l’euro comme certains en Allemagne semblent le penser ?

Il n’est pas question que la Grèce sorte de l’euro. L’enjeu des élections est ailleurs, c’est la composition du cocktail de réformes qui va permettre à ce pays de sortir définitivement de la crise et de réintégrer le concert des économies européennes. Selon le résultat, la stratégie de réformes en Grèce sera différente, ce qui est normal. C’est la démocratie, et c’est aux Grecs d’en décider. La Grèce a bénéficié à plein de la solidarité européenne : quel que soit le résultat de l'élection, il faudra une discussion entre ce pays et l’Europe pour savoir comment ces réformes s’inscriront dans le cadre européen et comment elles mettront la Grèce sur une trajectoire de croissance durable qui lui permettra de rembourser un jour sa dette envers l’Europe.

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