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Entretien accordé au journal Le Monde

3 novembre 2014

Interview de Sabine Lautenschläger, membre du directoire de la BCE,
conduite par Marie Charrel le 3 novembre 2014

Le 4 novembre, la Banque centrale européenne (BCE) prendra en charge la supervision des 120 plus grandes banques de la zone euro, représentant 82 % des actifs bancaires européens. Questions à Sabine Lautenschläger, membre du directoire de la BCE et vice-présidente du nouveau mécanisme européen de supervision des banques (MSU).

La supervision bancaire unique démarre le 4 novembre. Quelle est la mission de cette nouvelle institution ?

Notre tâche est d'être une autorité de contrôle bancaire européenne intrusive et indépendante, qui contribue à la solidité et à la bonne santé du système bancaire et à la stabilité du système financier. Notre objectif sera d’identifier très en amont les risques et procédures inappropriés au sein des établissements de crédit et d’agir efficacement et rapidement pour les neutraliser. Avec le démarrage du MSU, il y aura une approche unique en matière de contrôle bancaire dans les dix-huit États membres de la zone euro, instaurant ainsi pour la première fois l’égalité de traitement entre les banques dans le domaine du contrôle bancaire au sein de la zone euro. Nous nous assurerons au quotidien que les banques sont assez capitalisées et qu’elles détiennent assez de liquidités, et qu’elles ont mis en place une structure de gouvernance ainsi que des procédures de contrôle des risques adaptées à leur activité.

La BCE vient de publier le résultat des tests de résistance bancaire. Le secteur va-t-il mieux qu’il a cinq ans ?

Oui. Les banques ont considérablement renforcé leur capacité de résistance dans la mesure où elles ont accru leur stock de capital et amélioré leur gouvernance et musclé leur contrôle des risques. En se préparant à l’évaluation complète des bilans bancaires, elles ont également consolidé leurs bilans à hauteur de 200 milliards d’euros ces derniers mois, en vendant des actifs ou en renforçant leurs fonds propres. Il est donc juste de dire que des progrès énormes ont été accomplis. Mais la partie n’est pas terminée. Un peu comme un athlète qui doit s’entraîner chaque jour pour rester en forme, les banques, qui opèrent dans un milieu très concurrentiel, doivent adapter en permanence leur modèle d’entreprise et leur stratégie afin de tenir compte des conditions macroéconomiques, telles que le niveau très bas des taux d’intérêt. Elles doivent se conformer à de nouvelles dispositions réglementaires, dont certaines doivent encore venir ou ne sont pas encore entièrement applicables en raison des périodes de transition.

La supervision était jusque-là assurée par les gendarmes nationaux, comme l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en France. N’était-ce pas suffisant ?

Les banques sont étroitement interconnectées entre elles. Une autorité de contrôle bancaire indépendante au niveau européen présente plusieurs avantages. D’abord, cela limite les risques d’arbitrage réglementaire et prudentiel, car elle peut assurer l’égalité de traitement. Ensuite, cela offre une vision plus globale de l’activité des grandes banques, tout en permettant une comparaison entre pays de leurs pratiques et de leurs dispositifs de contrôle des risques. Comme les autorités nationales de contrôle bancaire nous assisteront dans notre évaluation prospective critique, nous prenons le meilleur des deux mondes, à savoir l’expertise complémentaire des autorités nationales associée à une puissante vision horizontale indépendante dans le cadre du processus de décision centralisé du mécanisme de surveillance unique au niveau européen.

Comment travaillerez-vous avec l’ACPR ?

Comme les autres superviseurs nationaux, l’ACPR participera activement, conjointement avec ses contreparties à la BCE, à la surveillance prudentielle des banques françaises importantes. Nos collègues français nous éclaireront sur les spécificités du marché et du système juridique en France. Ils nous informeront sur les évolutions nationales susceptibles d’influencer l’activité des banques : la fiscalité, les lois encadrant les prêts aux entreprises, par exemple. Cette expertise, combinée à celle de la BCE, nous permettra au mieux d’évaluer le profil de risque des banques et de juger si les différences de pratiques bancaires entre les pays sont justifiées ou non.

Le MSU contrôlera les 120 plus grandes banques européennes, mais les 4000 autres resteront sous supervision nationale. N’est-ce pas l’une des failles du système ?

La BCE sera le superviseur de l’ensemble du système bancaire européen. Elle contrôlera directement les banques importantes représentant 82 % du total des actifs bancaires, et indirectement les banques moins importantes. Nous établirons les grands principes selon lesquels l’ensemble des établissements européens devront être contrôlés, aussi au niveau national. Et nous vérifierons que ces principes sont bien respectés. De plus, les autorités nationales de surveillance procéderont sans discontinuer à des vérifications pilotées de manière centralisée afin de s’assurer que ces établissements, souvent essentiels au financement de l’économie locale, ne représentent pas un risque systémique en tant que groupe.

Nous avons aussi identifié, à côté des 120 plus grandes banques, 100 autres auxquelles nous accorderons une attention particulière, par exemple parce qu’elles peuvent représenter un risque à l’échelon régional, connaissent des difficultés ou s’appuient sur un modèle d’entreprise spécifique.

Restaurer la solidité et la transparence du système bancaire suffira-t-il à relancer le crédit dans la zone euro ?

Avec un système bancaire européen solide et résilient, nous faisons un grand pas en avant. Bien que l’existence d’un tel système bancaire soit une condition nécessaire pour obtenir une croissance durable du crédit, ce facteur n’est pas suffisant si l’on veut que les banques prêtent davantage à l’économie réelle. Il est nécessaire de mettre en place, au niveau national, les réformes structurelles qui aideront les entreprises à restaurer leur compétitivité et devenir suffisamment solides pour que les banques leur prêtent.

Les banques assument un risque de crédit lorsqu’elles accordent des prêts à l’économie réelle. Elles doivent être convaincues que leurs clients, comme les PME, feront les bénéfices leur permettant de rembourser les crédits qu’elles leur consentent. Dès lors, les perspectives de croissance du PIB national ainsi que les facteurs économiques et structurels, tels que les règles relatives au marché du travail et des finances publiques saines, sont des critères pertinents pour la décision des banques d’effectuer des opérations de prêt.

La BCE aura désormais deux missions : gérer la politique monétaire et superviser les banques. Comment éviter le conflit d’intérêts ?

Les politiques monétaire et de contrôle bancaire peuvent avoir des objectifs identiques ou opposés. Par exemple, les deux domaines ne peuvent que profiter de la bonne santé du système bancaire. Toutefois, il peut y avoir des conflits d’intérêts à l’avenir. Afin de gérer correctement les conflits potentiels, nous respectons rigoureusement le principe de séparation. La BCE sépare strictement le processus de décision relatif à la politique monétaire de celui qui concerne ses missions de surveillance prudentielle, jusqu’au niveau du Conseil des gouverneurs, qui détiendra le pouvoir de décision dans les deux domaines. En outre, celui-ci aura seulement la possibilité de formuler des objections à l’encontre d’un projet de décision soumis par le conseil de surveillance prudentielle. Ce nouveau conseil est celui qui pilote et influence la politique et les décisions en matière de contrôle bancaire.

La supervision commence alors que le second pilier de l’Union bancaire, à savoir les règles à mettre en œuvre en cas de risque de faillite bancaire, n’est pas encore en place. N’est-ce pas dangereux pour la BCE ?

La création du mécanisme de résolution unique permettra de faire un grand pas en avant dans la gestion de la restructuration ou de la liquidation d’un établissement en difficulté au niveau européen. Il est vrai qu’il ne sera opérationnel qu’à partir de janvier 2016. Mais cela ne constituera pas un risque majeur pour la BCE, car nous disposons de procédures transitoires. Dès janvier 2015, tous les pays membres devront disposer d’une autorité nationale de résolution : elles seront nos interlocuteurs dans le cas où une banque serait en difficulté. De même, les règles de renflouement interne (« bail-in ») seront déjà en partie appliquées dès janvier 2015. Celles-ci établissent que désormais, ce seront les actionnaires et les créanciers qui supporteront en premier lieu les pertes d’une banque. En 2016, des règles supplémentaires entreront en vigueur. À travers la mise en place d’un fonds de résolution financé par les banques, elles auront pour objet de protéger les États membres et les contribuables qui ne devront plus payer pour les banques représentant un risque systémique.

Ce fonds n’atteindra sa taille finale, de 55 milliards d’euros, que dans huit ans. N’est-ce pas trop peu et trop tard ?

Il s’agit d’un montant important prenant en compte plusieurs autres coussins de sécurité. En premier lieu, les banques ont considérablement renforcé leurs fonds propres ces dernières années. Ensuite, ce fonds ne sera sollicité qu’après la mise à contribution des actionnaires et créanciers, qui pourra monter jusqu’à 8 % du passif : c’est déjà beaucoup. Ainsi, la capacité globale d’absorption des pertes des banques s’est accrue considérablement. Le fonds de résolution viendra s’ajouter à cela.

Le troisième pilier de l’Union bancaire, la création d’un fonds européen pour garantir les dépôts des épargnants, est au point mort. Faut-il s’en inquiéter ?

Pas outre mesure. D’abord, parce que les dépôts sont déjà garantis jusqu’à 100 000 euros au niveau national. Mais surtout, parce que si les deux premiers piliers de l’Union bancaire fonctionnent bien et assurent la stabilité des banques et du système bancaire, l’existence d’un fonds mutualisé est beaucoup moins importante.

Les stress tests ont révélé d’inquiétantes faiblesses au sein des banques italiennes. La péninsule est-elle le maillon faible de la zone euro ?

Le superviseur bancaire ne raisonne pas en termes de pays, mais en termes de profils d’activité et de risque des établissements. Chacun a un fonctionnement différent et doit donc faire face à des problèmes différents. Il serait imprudent de ne pas les considérer individuellement.

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