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Interview avec Le Progrès

13 novembre 2010

Interview de Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne

>> Les conclusions du G20 de Séoul vous satisfont-elles ?

Laissez moi d’abord vous dire que je suis ravi d’être à Lyon, où je respire l’air natal et où je me pénètre toujours de la beauté de la ville et de son art de vivre !

S’agissant du G20, j’ai noté la déclaration selon laquelle les risques pour l’économie mondiale sont toujours là et qu’il faut être extrêmement vigilant. Je partage entièrement ce sentiment des chefs d’Etat et de gouvernement. Au delà, quatre points de conclusion sont particulièrement importants à mes yeux. En premier lieu, l’engagement de poursuivre des politiques macroéconomiques visant à une croissance durable, comprenant les efforts de rigueur budgétaire dans les pays ou c’est nécessaire. En second lieu, la nécessité de mettre en œuvre des reformes structurelles ambitieuses pour augmenter la croissance et l’emploi. En troisième lieu, l’approbation des reformes de la surveillance des banques préparées par le Comité de Bâle. Et, en quatrième lieu, l’engagement de renforcer la flexibilité des taux de change de certaines devises insuffisamment flexibles.

>> En tant que présidente du G20 durant un an, quelles orientations et quelles actions la France doit mener sur le plan financier?

La gouvernance mondiale du G20 est une entreprise de longue haleine. Rien n’est acquis et la présidence française devra approfondir et renforcer les orientations qui font l’objet du consensus mondial actuel. C’est déjà un énorme travail. Mais la responsabilité majeure que je vois pour la future présidence est la correction des grands déséquilibres extérieurs au niveau mondial : cette correction est indispensable pour éviter à l’avenir une nouvelle crise majeure. Et le G20 de Séoul a explicitement demandé à la présidence française de travailler sur les critères de mesure de ces déficits et excédents extérieurs.

>>La crise financière est achevée mais on constate aujourd’hui ses effets sur le plan économique. Selon vous, toutes les leçons ont-elles été tirées pour éviter une nouvelle crise mondiale alors que l’on voit des mesures perçues comme protectionnistes ici ou là et notamment aux Etats-Unis et en Chine?

Nous sommes au cœur de la réflexion internationale sur les leçons à tirer de la crise. C’est un travail considérable, effectué par l’ensemble de la communauté internationale y compris les pays émergents. Donc cela demande du temps. Par exemple, pour rendre le système financier mondial beaucoup moins fragile, beaucoup plus solide, les mesures proposées par le Comité de Bâle et adoptées par le G20 prendront nécessairement du temps pour être appliquées compte tenu de leur ampleur : en particulier une augmentation très importante du niveau des exigences en capital des banques au niveau mondial. Nous avons prévu une période de transition qui s’achèvera à la fin de l’année 2018.

>>Etes-vous encore inquiets quant à la capacité de certains pays comme l’Irlande et la Grèce de faire face à leur désendettement ?

Ce qui est sûr, c’est que pour l’ensemble des pays et pas seulement pour l’Irlande et la Grèce, il est très important de prendre les mesures permettant d’assurer la stabilité budgétaire dans une perspective de moyen terme. C’est nécessaire dans les pays avancés et dans l’Union européenne en général et bien entendu dans la zone euro en particulier. C’est une caractéristique commune aux pays industrialisés de se retrouver après la récession très importante qui a été provoquée par la crise financière dans une situation de vulnérabilité budgétaire. La Banque centrale européenne a toujours défendu le Pacte de stabilité et de croissance y compris quand de grands pays comme la France ou l’Allemagne voulaient en assouplir les règles.

>>La Banque centrale américaine a décidé la semaine dernière d'injecter massivement des liquidités en dollars dans le circuit économique. Une décision qui a pour effet de diluer la valeur du billet vert. La guerre des monnaies est-elle bien engagée ?

Cette expression est totalement impropre naturellement. Il y a deux sujets principaux qu’il faut aborder avec sérieux. D’une part, les relations entre les grandes monnaies convertibles flottantes des pays industrialisés comme le dollar, l’euro, le yen, la livre sterling. Ces monnaies, ou, s’agissant de l’euro, les monnaies qui l’ont précédé, flottent depuis l’explosion du système de Bretton Woods au début des années 1970. Le secrétaire au Trésor américain et le président de la banque centrale américaine disent qu’un dollar fort vis-à-vis des autres grandes devises convertibles est dans l’intérêt des Etats-Unis. Je partage totalement ce sentiment. Un dollar fort, et crédible au sein des grandes devises des pays industrialisés, est dans l’intérêt des Etats-Unis, dans l’intérêt de l’Europe et dans l’intérêt de l’ensemble de la communauté internationale. D’autre part, le second sujet porte sur les pays émergents ayant des excédents de balance des paiements courants considérables et qui n’ont pas de taux de change suffisamment flexibles. Là, des engagements ont été pris lors des G20. L’orientation vers plus de flexibilité dans les changes, avec une appréciation progressive et ordonnée de leur monnaie contre les grandes monnaies convertibles est aussi dans l’intérêt des pays émergents concernés et dans l’intérêt de la communauté internationale.

>>La consolidation budgétaire dans la plupart des pays européens ne risque-t-elle pas de freiner les effets de la reprise économique ?

Non, je ne le crois pas. La consolidation de la reprise et le retour à une croissance soutenue reposent essentiellement sur la confiance – confiance des ménages, confiance des entreprises, confiance des épargnants. Si l’on engage des politiques de redressement budgétaire crédibles et rassurantes, on contribue à la consolidation de la reprise parce que l’on donne confiance à tous ceux sur lesquels repose la prospérité de l’économie.

>>Mais le risque social a-t-il été suffisamment pris en compte ?

Le problème principal est le niveau du chômage. Le retour à la confiance, en particulier budgétaire, est, je l’ai dit, essentiel pour la consolidation de la reprise et donc pour la création d’emplois durables.

>> Cette confiance est notamment mesurée par les agences de notation. Ne faut-il pas revoir leur rôle ? L’UE ne pourrait-elle pas s’en doter d’une ?

C’est un des grands sujets qui est examiné au niveau mondial. Le passé a montré combien il pouvait être risqué de se reposer aveuglément sur les analyses des agences de notation. Il faut que les institutions financières et les investisseurs soient eux-mêmes entièrement responsables de leur décisions.

>>Comment mieux coordonner la politique monétaire et la politique économique de l’UE ?

Le fait d’avoir une fédération monétaire qui a nous donné une stabilité monétaire au niveau d’un continent de 330 millions de concitoyens doit être nécessairement accompagnée d’une surveillance très étroite des politiques budgétaires et du strict respect par les politiques budgétaires du cadre de référence que nous nous étions fixé. J’ai demandé au nom du Conseil des gouverneurs depuis toujours le strict respect du Pacte de stabilité et de croissance et l’introduction d’un concept de surveillance renforcée pour les évolutions de compétitivité au sein de la zone euro. Aujourd’hui, nous demandons à la Commission et au Président Van Rumpoy, qui sont en charge, de faire des propositions aussi audacieuses que possible : nous avons besoin d’une gouvernance budgétaire et économique considérablement renforcée dans la zone euro.

>>Une gouvernance mondiale pourrait elle être simplement la convergence ou la fusion des directions des principales organisations internationales ?

Nous sommes en pleine évolution de ce point de vue. Le FMI est en train de modifier sa gouvernance interne avec une plus grande place accordée aux pays émergents. Les Européens ont accepté de diminuer leur représentation. Sur le plan de la gestion de la gouvernance informelle de l’économie et de la finance mondiales, le G20 s’est substitué au G7. Cela veut dire que désormais l’ensemble des pays émergents et pas seulement les pays industrialisés ayant une influence systémique au niveau mondial sont pleinement responsables de la gouvernance de l’économie mondiale intégrée.

>>Et sur le moyen et le long termes, comment envisagez-vous cette gouvernance ?

Nous avons encore aujourd’hui une gouvernance bâtie sur les Etats souverains eux-mêmes, un monde « westphalien » et qui ne correspond pas aux besoins nouveaux de gouvernance d’une économie mondiale intégrée. Le grand défi de la période présente est d’accélérer le passage à une gouvernance mondiale qui soit à la mesure du monde nouveau que nous avons progressivement créé, particulièrement au cours des vingt dernières années après l’effondrement de l’empire soviétique et la conversion des grands pays émergents à l’économie de marché

>> Quel regard portez-vous sur la situation économique française actuelle?

La France, comme tous les autres pays européens, est invitée à faire sur elle-même un très important travail de consolidation budgétaire. Cela va dans le sens de la confiance, et donc de la consolidation de la reprise et donc de l’emploi. Comme l’ensemble des pays de la zone euro, la France est invitée à continuer de se réformer activement. La zone euro tout entière peut et doit augmenter son potentiel de croissance et de création d’emplois. Des réformes importantes sont effectuées dans tous les pays, comme celles des retraites en France. Ces reformes sont nécessaires. Elles vont dans le sens de la responsabilité budgétaire et d’un meilleur fonctionnement de l’économie européenne et de l’économie française pour plus de croissance et plus d’emploi.

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